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par exemple. Selon ce dernier, la perfection de l’homme consiste dans le développement de sa nature tout entière, pourvu que ses facultés soient subordonnées les unes aux autres suivant leur valeur respective ; selon Pascal, certaines parties, les plus hautes de notre nature, doivent seules être développées ; il sacrifie résolument le reste et mutilerait volontiers l’homme, pour assurer, pense-t-il, un développement plus libre à ce qui lui paraît digne d’être conservé ; pour l’un, tout est bon en nous, bien que non pas également ; pour l’autre, il y aurait en nous un côté radicalement mauvais. De plus, le bonheur dont l’homme est capable par ces deux moyens, est-ce sa propre nature qui le lui donne, ou bien une assistance surnaturelle ? Leibniz eût été du premier avis, mais Pascal est du second. Seul le chrétien peut être heureux dès cette vie, et, comme on ne saurait être chrétien sans la grâce, le bonheur ne peut venir que de Dieu, qui le distribue suivant son bon plaisir. Toute l’humanité qui ne connaît pas Jésus-Christ, ou qui ne croit pas en lui, demeure par là même vouée en ce monde à une irrémédiable misère. Est-on si loin que M. N. le pense du plus désolant pessimisme ? En tout cas, on reste à mille lieues de l’optimisme rationnel et naturel à la fois de Leibniz. — Quant au scepticisme de Pascal (pourquoi ne rien dire à ce sujet d’une thèse récente de M. Droz, Étude sur le scepticisme de Pascal, 1886 ?), M. N. effleure seulement la question. On est un peu surpris de le voir mettre encore au même rang les théorèmes d’Euclide et les démonstrations des métaphysiciens sur l’âme et sur Dieu (p. 93). De nos jours cependant des spiritualistes convaincus n’ont pas fait difficulté d’avouer que celles-ci sont l’objet d’une certitude assez différente, qu’ils appellent certitude morale, croyance, foi, et où le cœur aurait plus de part que l’esprit. Et Pascal lui-même l’avait proclamé. Ne distinguait-il pas trois degrés de certitude ou de connaissance ? L’homme qui ne juge que par les sens est déjà certain de ses jugements ; mais sa certitude doit céder devant celle du savant qui juge par l’esprit ou par la raison ; et la certitude du savant serait inférieure elle-même à une certitude plus haute, qui vient du cœur. Les preuves métaphysiques de Dieu peuvent être vraies pour la raison, mais qu’importe, si elles ne produisent pas encore la foi chrétienne. Ces preuves restent sans valeur aux yeux du croyant, qui croit fort bien sans elles, et qui, avec elles seulement, ne croirait pas de la bonne manière et comme il faut pour son salut.

Enfin M. N. étudie Pascal physicien (p. 99-127). Il abandonne un peu vite, ce semble, à Descartes l’honneur que celui-ci réclame d’avoir imaginé le premier la fameuse expérience du Puy de Dôme, et il fait trop bon marché de l’originalité scientifique de Pascal en cette affaire. M. Havet avait déjà protesté en faveur de Pascal, sans convaincre M. N. qui rappelle néanmoins tout le débat. M. Ravaisson ne l’a pas convaincu davantage. Depuis, la question a été reprise ici même, dans la Revue philosophique (déc. 1887 et janv. 1888), et traitée sans parti pris d’aucune sorte, peut-être à la satisfaction des admirateurs de Pascal et