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pensé pour notre propre compte et c’est vraisemblablement ainsi que pense M. Gourd, autrement il n’aurait pas dit : « Il est permis de considérer le moi comme une sorte de substance ; il suffit de donner à ce dernier mot la signification phénoménale que nous fixerons bientôt. » (P. 343.)

On s’étonne toutefois qu’un philosophe vienne assurer au moi un degré et une qualité d’existence suffisant à l’empêcher d’être submergé par ses phénomènes, que ce philosophe, dans une étude précédente, ait parlé du libre arbitre comme s’il le prenait au sérieux, puisqu’après tout il juge l’ambiguïté des futurs inséparables, et que le même philosophe dans sa revue des fonctions psychiques irréductibles n’admette que deux genres fondamentaux : l’affectif et l’intellectuel. Il faut renter la volonté sous le joug de l’entendement, et cela pour des motifs dont le bien fondé nous échappe. Ceux qui estiment que toute affirmation est une volition subordonnent la première à la seconde. Or M. Gourd paraît admettre que vouloir c’est consentir, qu’ « affirmer » c’est a « rendre ferme » : en effet d’ailleurs, affirmer et affermir n’ont, pour s’exprimer en latin, qu’un seul et même mot ; il est donc bien près de dire que croire et vouloir sont proches. Pourquoi, s’il le reconnaît, n’aperçoit-il pas la conséquence ? Comment lui échappe-t-il que des deux éléments l’intellectuel et le volitionnel, c’est celui-ci qui prime celui-là ? — Tout jugement peut n’être pas volontaire, tandis qu’il lui serait impossible de n’être pas intellectuel ? — C’est bien en effet sa raison : « Que toute préférence de l’intelligence ne soit pas une préférence de la volonté, c’est indiscutable ; que toute préférence de la volonté ne soit pas une préférence de l’intelligence, c’est incompréhensible. » (P. 268.) On le voit, M. Gourd distingue entre croire et savoir ; mais, à ses yeux, la distinction est-elle radicale ? Il le pense, il ne le prouve pas. Admettons que ses motifs de le penser soient plausibles, décisifs même, que du moment où il admet des cas de consentement libre, c’est-à-dire des cas intellectuels-volitionnels, il admet implicitement que l’intellectuel seul n’en peut donner raison ; dès lors, subordonner le volitionnel à l’intellectuel équivaut à n’en point tenir compte dans sa classification psychologique, à faire comme s’il n’était point, bref à le supprimer. En effet, l’absorption de la volonté dans le jugement consomme celle de la liberté apparente dans le déterminisme. Ainsi, les débuts du livre annonçaient une disposition d’esprit favorable au libre arbitre ; ces dispositions n’ont pas duré.

Aussi bien, la doctrine de M. Gourd est trop idéaliste pour laisser à l’indétermination réelle du vouloir le moyen de se faire jour. Elle est idéaliste, en effet, puisque la conscience est privée du don de sortir d’elle-même, puisque l’acte de foi qui lui permettrait d’en sortir ne relève point de la philosophie générale : la distinction du moi d’avec le non-moi reste possible, mais dans l’abstrait seulement. Au fond, les phénomènes du monde sont des phénomènes de conscience ; tant qu’ils ne sont pas « déconscienciés » (le néologisme est de M. Gourd), ils restent psychi-