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ANALYSES.j. gourd. Le Phénomène.

de l’abstrait suprême, soit de l’être ou du phénomène, ou de la représentation, descendez jusqu’au premier échelon, vous trouverez le ressemblant et le différent, l’instable, le stable, etc. ; descendez toujours, vous n’arriverez jamais au psychique ni au physique. Dans le psychique, vous trouvez du ressemblant et du différent, de l’instable et du stable, etc., dans le physique, de même : mais, tandis que l’instable est une variété de l’autre et le stable une variété du même, le psychique et le physique ne sauraient correspondre, l’un, par exemple, au semblable, l’autre au dissemblable. L’opposition du psychique et du physique est hétérogène à celle du différent et du ressemblant ; on ne peut donc espérer la rencontrer sur le même échelon. Il faut dès lors faire aboutir à l’abstrait suprême une série d’autres degrés, ou, si l’on nous passe la comparaison, tracer le lit d’un second grand fleuve qui se jettera dans la même mer, mais sans mêler ses eaux à celles du premier.

Le phénomène aura donc ses moments comme il a ses faces ; ses faces et ses moments resteront irréductibles. Cette seconde « étude » où il est traité des moments du phénomène est peut-être la plus approfondie du livre ; l’irréductibilité du psychique au physique, l’impossibilité de ramener le psychique au physique par l’insertion d’un intermédiaire, la nécessité que cet intermédiaire soit l’inconscient, la difficulté invincible de distinguer entre l’inconscient et l’extra-psychique, voilà où aboutit une discussion magistralement conduite, semée de vues fortes et pénétrantes, obscure par endroits sans doute, car l’auteur, désireux d’être pressant et ne craignant pas de paraître pressé, escamote çà et là un ou deux développements indispensables ; il n’importe, toute cette discussion est à lire et à méditer. Et l’on peut en dire autant des discussions qui suivent ; non qu’elles soient toujours pleinement convaincantes, mais elles sont étonnamment suggestives par l’intensité de relief que savent y prendre des faits assurément indiscutables en raison de leur ancienneté, j’allais dire de leur banalité ; mais on les dirait presque nouveaux tant M. Gourd excelle à en faire jaillir des conséquences nouvelles. Mentionnons entre autres le chapitre consacré à l’opposition du moi et du non-moi. Le moi y est présenté, non comme une substance distincte des faits qu’elle produit, mais comme un moment de la conscience : « Le moi est la conscience considérée sous sa face ressemblante, stable et à son moment psychique. » Le moi n’a donc point d’existence indépendante ; il est autre que ses états puisqu’il peut impunément se détacher de telle série d’états et l’envisager objectivement, dans sa matière psychique si l’on peut ainsi parler ; il est aussi le même que ses états, puisque le privilège de se détacher de telle série n’implique point celui de se détacher de toute série quelconque, passée ou présente ou fictive. Un moi qui serait absolument distinct de ses états ou de ses actes, serait le moi pur, autrement dit l’idée du moi, il ne serait pas plus le moi de Pierre que le moi de Paul, il serait un « moi » sans personnalité, autrement dit une contradiction. Ainsi avons-nous toujours