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ANALYSES.j. gourd. Le Phénomène.

M. Gourd les sépare, non seulement en vue de ne pas mêler les questions les unes aux autres, mais de manière à laisser sa philosophie théorique nettement indépendante de sa philosophie pratique. Est-ce là faire acte de criticiste ? Oublie-t-on que les conclusions de la première des trois Critiques n’ont de sens que mises en regard des conclusions de la seconde, que la Critique de la raison pratique est déjà faite dans la pensée de Kant au moment où il rédige celle de la raison pure, et qu’on s’en aperçoit au chapitre des « Antinomies » ? Chez M. Gourd rien de pareil. Sa main gauche ignorera ce qu’a fait sa main droite et rien de ce qu’il pense sur les choses de la morale ne transparaît de la partie théorique de son œuvre (car nous espérons qu’il ne nous en a donné qu’une partie).

Le phénomène est le contenu de la conscience et rien de ce qui existe n’est hors de ce contenu ; la conscience est dépassée par la croyance, non par la science, et le nom de science convient à la philosophie générale. M. Gourd, après avoir énoncé ses principes, va les justifier par l’analyse de la notion fondamentale dans laquelle toute réalité lui paraît se devoir résoudre. Nous allons donc assister à l’analyse du phénomène.

III. — Le phénomène peut s’envisager à un triple point de vue : on y peut distinguer des faces, des moments, des faits. La philosophie générale vise à la réduction du multiple et, ne pouvant l’achever, s’arrête devant des différences comme devant une ligne de frontière infranchissable. Le différent existe donc au même titre que le ressemblant, et les thèses de Parménide sont inacceptables. L’unité absolue ou réduirait la science à n’être qu’une illusion vaste, ce que rien ne prouve, ou contraindrait la conscience à un véritable suicide, car « non seulement la pensée demande deux termes différents, mais encore elle se présente toujours comme la conscience du différent ; l’identique passerait inaperçu. Le différent remonte donc, pour le moins, aussi haut que la pensée » et il ne le faut pas confondre avec l’absolument contradictoire ». Dans la diversité du ressemblant et du différent se trouve une diversité dernière, irréductible.

Cette diversité prise en elle-même, et détachée pour les nécessités de l’analyse des autres abstraits qu’elle domine, marque deux formes de la conscience : pourquoi ne pas dire deux faits ? Il faudrait admettre, dans ce cas, « que le ressemblant et le différent fondés l’un et l’autre sur la réalité marquent deux espèces de faits distincts ». Mais cela est inadmissible ; le différent et le ressemblant sont unis et en même temps opposés. L’idée de fait, d’ailleurs, s’applique à quelque chose d’accompli, d’achevé, à un tout fermé[1]. Or il n’y a de tout fermé que dans le concret. Donc la diversité et la ressemblance sont des catégories universelles et non des faits. M. Gourd propose de leur donner le nom de

  1. P. 154. Dans le cours de notre exposition, nous laisserons désormais tomber les guillemets ; nous avertissons seulement le lecteur, qu’en résumant nous transcrirons le plus possible.