Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
394
revue philosophique

Or, du moment où l’on peut, sur le domaine métaphysique, transporter certaines de nos catégories, entre le métaphysicien qui saurait la métaphysique, au cas où par hypothèse un tel être se rencontrerait quelque part, et le simple philosophe, la différence serait du plus au moins : celui-ci penserait avec moins de catégories que celui-là et le métaphysicien en apprendrait beaucoup au philosophe, mais celui-ci n’en aurait rien à désapprendre. Selon Kant, il faut bien le dire, la science expérimentale a pour objet ce qui n’est point, ce qui a l’air d’être, une série régulière de songes bien liés ; le monde intelligible est juste le contre-pied du monde de l’intelligence ; selon M. Gourd, il n’en est que le prolongement.

De là vient que la philosophie générale et la métaphysique peuvent être rapprochées l’une de l’autre, et que s’il n’y a point, au regard de l’une, de substances ultra-phénoménales, au regard de l’autre, il ne saurait, non plus, y en avoir ; que si l’unité irréductible, en ce monde, nous échappe, le métaphysicien se trompe en se flattant de la saisir dans une autre région. Le monisme et le panthéisme, faux au point de vue de la philosophie générale, restent faux au point de vue de la métaphysique, et si le matérialisme ainsi que le « spiritualisme exclusif » ne trouvent point grâce devant la première, la seconde aussi doit les éliminer ; enfin, une philosophie générale dualiste ou pluraliste ne saurait attendre de la métaphysique la réduction à l’unité de cette pluralité irréductible… Si nous avons bien compris M. Gourd, il ne donne point à ses recherches le nom de « métaphysique », parce qu’il sait ou qu’il croit la réalité plus riche que la pensée, parce que la métaphysique lui semble l’équivalent d’une omniscience en abrégé, parce que, ou cette omniscience n’est pas, ou elle n’omet, dans son programme des principes cosmiques, aucun principe essentiel et que l’auteur n’ose se prétendre assuré de ne rien omettre ; se souvenant de Pythagore, qui au mot de sagesse substitua le mot philosophie, M. Gourd remplace Métaphysique par Philosophie générale. Il a conscience des bornes du savoir et se promet de ne les jamais franchir sans s’aviser du moment précis où il s’aventurera sur le terrain des songes ; d’autre part, il se dit incapable de songer autrement qu’à l’aide du souvenir et de se figurer l’autre monde absolument différent de celui-ci. Ses rêves reproduiraient, à peu de chose près, ses perceptions de la veille. À quel signe infaillible distinguera-t-il donc celle-ci de ceux-là ; sa sincérité ne serait-elle jamais surprise ? Dans l’impossibilité de pouvoir répondre, il a laissé certains problèmes métaphysiques hors de son champ d’études, et, de l’origine non plus que de la fin des choses, il ne s’est soucié de traiter.

Cette « philosophie générale », puisqu’il faut l’appeler par son nom, ne veut être ni moniste ou panthéiste, ni spiritualiste, ni matérialiste ; elle avoue à tout le moins ce qu’elle ne veut pas être. Nous sommes avertis des intentions de l’auteur. Reste à savoir si l’auteur s’est tenu parole.