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tendances organiques générales peuvent exister séparément. Le fait d’ouvrir la bouche, par exemple, peut être considéré comme une tendance générale pouvant s’appliquer à des cas divers et variés, et se manifester aussi, abstraitement, en dehors des cas où elle fait partie d’un système habituel. Nous pourrons donc étudier les tendances pour étudier la généralisation et même pour étudier les idées abstraites. Ceci d’ailleurs deviendra, je pense, plus clair par la suite de ce travail ; j’ai tenu surtout ici à indiquer le sujet et à justifier sommairement l’extension que je lui donnais.

I

La conception primitive.

Nos idées abstraites, générales, synthétiques, analytiques sont le produit d’une longue évolution. Pour apprécier cette évolution, pour voir comment elles ont pu se former, pour connaître au juste le mécanisme de l’esprit, il faut tâcher de se reporter à l’état informe déjà mentionné et qui parait avoir été l’état primitif de la pensée, ou à un état qui lui ressemble suffisamment. Nous en trouvons de tels encore aujourd’hui, en nous et autour de nous.

On s’est beaucoup occupé de l’état primitif de la pensée humaine à propos du langage chez l’homme et chez l’enfant. Les psychologues et les linguistes ont émis à ce sujet des opinions absolument opposées. M. Max Muller, M. Taine, M. Paul Regnaud pensent tous, sous des formes différentes, que l’esprit de l’homme a traduit d’abord par le langage des états généraux ; au contraire, Locke, M. Zaborowski, pensent que l’enfant particularise ou que l’homme a débuté par avoir des idées concrètes. Nous avons à examiner ces différentes opinions et aussi à tâcher de tirer des faits une conclusion.

M. Taine trouve des généralisations chez une petite fille de douze mois. « Cet hiver, on la portait tous les jours chez sa grand’mère, qui lui montrait très souvent une copie peinte du tableau de Luini, où est un petit Jésus tout nu ; on lui disait en lui montrant le tableau : « Voilà le bébé. » Depuis huit jours, quand, dans une autre chambre, dans un autre appartement, on lui dit en parlant d’elle-même : « Où est le bébé ? » elle se tourne vers les tableaux, quels qu’ils soient, vers les gravures, quelles qu’elles soient. Bébé signifie donc pour elle quelque chose de général, ce qu’il y a de commun pour elle entre tous ces tableaux et gravures de figures et de paysages, c’est-à-dire, si je ne me trompe, quelque chose de