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Savonarole, provoquait non loin de nous, en Italie, un mouvement politique et religieux qui n’a point encore peut-être entièrement cessé[1]. Ennemi né de l’homme de génie, le mattoïde est soutenu par la solidarité instinctive qui unit les uns aux autres, dans une haine commune contre la véritable grandeur, tous ces imposteurs. Il est, d’un mot, la caricature du génie.

Mais la folie peut nous donner non point seulement l’illusion, mais encore la réalité du génie. En chacun de nous, la maladie produit souvent une exaltation et une intensité d’impressions jusqu’alors inconnues. Il est des fous que la maladie soulève jusqu’au génie. Suivant M. Lombroso, la maladie développe parfois une « génialité temporaire » que la fièvre emporte avec elle, mais qui est bien réelle. Et il ne s’agit pas seulement de malades qu’une éducation antérieure, un talent naissant ou incomplet avaient préparés à profiter de cette étrange secousse. Le génie souffle où il veut : il s’abaisse jusqu’aux esprits les plus humbles qui s’étaient traînés jusqu’alors dans les pensées les plus vulgaires : il rayonne dans ces pauvres âmes à peine ébauchées et les conduit à l’éloquence, à la poésie, à l’art. Ces transformations miraculeuses qui rappellent les coups imprévus de la grâce sont étudiées très délicatement par M. Lombroso dans des chapitres qui ne doivent point être perdus pour tous ceux qui aiment les singularités esthétiques[2]. Si cette métamorphose est avérée, il faut reconnaître que l’hypothèse de M. Lombroso acquiert soudain un très haut degré de vraisemblance. Tant que nous avons vu le génie s’accompagner de folie, mais rester différent d’elle, nous pouvions encore considérer un tel rapport comme accidentel. Maintenant, la folie livrée à elle-même produit le génie. Cette double transformation nous avertit qu’il existe entre les deux faits, au moins dans l’organisme, une complète identité de nature. Le résultat général de la première partie du livre a été que le génie, dans de certaines conditions, sinon dans toutes, produit la folie. Le résultat qui se dégage nettement de la seconde partie, c’est que la folie elle-même peut, dans ses désordres, simuler et même réaliser les merveilles du génie. La conclusion finale qui résume la pensée dernière de l’auteur doit être que la folie et le génie ne sont que les deux aspects d’un même fait qui, unique dans l’organisme, se dédouble dans la conscience.

II

Avant d’être posé dans ses termes véritables, tout problème doit traverser un certain nombre de solutions superficielles desquelles il doit graduellement se dégager. L’instinct confus de la foule avait donné au problème des rapports du génie et de la folie une première réponse très

  1. Perrens, Un Savonarole rustique (Nouvelle Revue, 1888).
  2. Bourget, Essais de psychologie contemporaine.