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culation, c’est se leurrer soi-même on a simplement admis, sans preuve, la primauté de la métaphysique criticiste ou spiritualiste sur toutes les autres métaphysiques. « Suprématie de mon système sur le vôtre », voilà, en termes plus familiers, la primauté de la raison pratique.

En réalité, il n’y a point de suprématie en philosophie, sauf celle de la logique, qui est toute subjective, toute formelle, et qui constitue vraiment un domaine neutre. Une suprématie autre que de forme logique, la primauté d’un principe concret, c’est au fond un absolu, et toute doctrine qui l’accepte est un absolutisme.

La seule question importante, c’est celle de la méthode et de l’ordre qui doit exister entre les problèmes ; or, la logique veut qu’on aille des principes aux conséquences ; tout revient donc à savoir si le devoir est un principe ou une conséquence de l’idée qu’on se fait de la volonté humaine et de son rapport avec l’univers. C’est à chacun d’apprécier les raisons pour et contre, sans que personne puisse mettre en avant une « suprématie ». La recherche du primat est, en dernière analyse, aussi illusoire que celle du criterium absolu de la vérité, avec laquelle d’ailleurs elle se confond. En outre, elle est une pure pétition de principe. Le rapport de subordination ou de suprématie qui peut exister entre la réalité des choses et notre volonté morale est précisément le grand problème à résoudre ; comment donc le supposer dès le commencement résolu, et au profit de la volonté humaine ? La question métaphysique par excellence, c’est de savoir si le moral est au fond des choses ou seulement à la surface. La nature semble dire non ; la plus haute aspiration de l’homme dit oui. Il faut confronter l’une avec l’autre, critiquer, raisonner, induire et déduire ; mais juger d’avance les systèmes métaphysiques par leur valeur morale, comme font les disciples de Kant, ériger ainsi la moralité en critérium du vrai et du réel, c’est supposer résolu ce qui est en question.

Alfred Fouillée.