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A. FOUILLÉE.primauté de la raison pratique

intérêt, à la fois intellectuel et esthétique, ne peut plus être opposé à la nature entière, y compris nous-même, ni au concept de la nature, ni à la connaissance spéculative. Celle-ci en fait au contraire le fond, car l’idéal est, en définitive, une spéculation sur l’avenir possible de la nature et de l’homme, fondée sur une connaissance plus ou moins complète de leur constitution actuelle ; l’idéal est une hypothèse métaphysique, en même temps qu’esthétique. Conséquemment la métaphysique domine la morale, au lieu d’être soumise à sa suprématie.

En un mot, la seule chose qu’on puisse réellement opposer à la nature, c’est un intérêt mystique, produit par la conception d’un monde mystique ; mais, dans ce cas, le monde des noumènes ou monde inconnaissable étant indéterminé, on ne peut savoir s’il est supérieur ou inférieur à la nature ; par conséquent l’intérêt pratique du monde inconnaissable ne peut être dit ni supérieur ni inférieur en soi à l’intérêt pratique du monde actuel ; et il est même pour nous plutôt inférieur que supérieur, car le monde des phénomènes a l’avantage d’être connu et certain, tandis que le reste est inconnu, inconnaissable et incertain. Il faut donc toujours en revenir à un intérêt naturel, humain, social, cosmique, qui, loin de commander à la spéculation scientifique ou métaphysique, est au contraire lui-même l’application pratique de nos connaissances ou de nos hypothèses sur la nature et sur l’humanité.

Puisque le fond de la moralité pure et absolue demeure indéterminé, les kantiens se rejetteront sur la forme même de la loi morale et sur l’intérêt supérieur qui s’attache à cette forme, comme telle.

La forme de la loi morale est, selon Kant, l’impératif catégorique, c’est-à-dire un commandement indépendant de toute matière déterminée. Tel est le devoir pur et absolu. Si nous sommes ainsi en possession d’un commandement sans réplique, d’une loi catégorique, il existera par cela même une nécessité pratique au moyen de laquelle nous pourrons déterminer aussi ce qui est nécessaire en métaphysique. Nous sortirons alors de l’ambiguïté et de l’incertitude qui sont inhérentes au monde intelligible tant qu’on demeure dans la spéculation. Nous dirons : le monde intelligible est pratiquement nécessaire, donc il est aussi pratiquement certain ; par conséquent, il n’y a de métaphysique certaine que celle qui dérive de la moralité et de ses conditions.

Cet argument suppose, d’abord, qu’il existe une forme de devoir et d’impératif absolument indépendante de toute matière, et c’est là