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BINET.la vision mentale

du moment qu’on opère sur des sujets suggestibles, il y a toujours un minimum de suggestion qu’on ne peut pas éviter, alors même qu’on se réduit à l’étude graphique des phénomènes musculaires, car la suggestion retentit sur tout.

En ce qui concerne nos expériences, ce rôle de la suggestion est facile à mettre en évidence. Depuis que les recherches ont démontré que l’anesthésie hystérique n’est pas une anesthésie vraie, une destruction de la sensation, et qu’au contraire il y a là une conscience secondaire, en rapport avec le membre anesthésique, qui recueille les sensations de ce membre, les combine, forme des raisonnements et exécute des actes ; depuis qu’on sait tout cela, il est évident que l’excitation d’une région anesthésique, loin d’être à l’abri de la suggestion, constitue une suggestion directe par le toucher. Lorsque l’expérimentateur excite à plusieurs reprises la main anesthésique, cette conscience secondaire dont nous parlons doit probablement chercher à comprendre l’intention de l’expérimentateur et souvent la deviner. Je n’en veux pour preuve que le fait suivant, observé autrefois : si on soulève le bras anesthésique de Hab… quand le sujet a les yeux fermés, et qu’on le lâche aussitôt, le bras retombe ; si on le soulève en le maintenant un peu comme on le fait naturellement quand on cherche à provoquer une attitude cataleptique, le bras reste en l’air. Autres exemples à citer : la crainte que la conscience secondaire éprouve d’être brûlée, son électivité pour l’expérimentateur, etc. Ces phénomènes, il est vrai, ne se constatent pas chez tous les sujets, mais il faut se méfier des expériences négatives.

Il y a en outre dans nos expériences un second sujet suggestible, c’est le sujet avec lequel nous sommes en rapport par la parole, et qui éprouve les impressions visuelles, celui que nous pouvons appeler, pour le distinguer du précédent, la conscience primaire. Cette conscience est aussi suggestible que l’autre. Nous nous trouvons ainsi en quelque sorte entre deux écueils.

La situation se trouvant une fois définie aussi exactement que possible, d’après tout ce que nous savons sur l’anesthésie hystérique, résumons nos expériences, et voyons quelle peut être leur valeur.

Je presse sur la main anesthésique, pendant que le sujet lit, et les caractères écrits disparaissent. Je crois que les premières fois où j’ai fait cette expérience, dont j’ignorais complètement le résultat, il n’y a pas eu de suggestion. En effet, le sujet lisait pour se distraire, je n’avais pas l’intention d’empêcher la lecture, et rien dans cette sorte de milieu psychologique qui entoure les expériences malgré