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absolument sûre, elle nous révèle les tendances ; une induction moins simple nous amène à la connaissance des phénomènes subjectifs, et, bien que leur existence et même leur nature spéciale ne puissent être mises en doute dans certains cas, par exemple quand nous observons un homme en colère ou un écolier qui fait un problème, cette nature et cette existence même restent douteuses en bien d’autres cas. Nous ne savons pas absolument par quels phénomènes subjectifs se manifeste le groupe de tendances qui chez un chien, par exemple, constituent ce que nous appelons l’affection pour son maître. Si nous passons aux animaux inférieurs, nous voyons clairement que, tout en le comprenant, nous ne pouvons guère nous représenter clairement l’état mental d’une araignée femelle dévorant le mâle amoureux ou d’une fourmi reconnaissant une amie. Que sera-ce si nous descendons jusqu’aux organismes mono-cellulaires ? Et pourtant l’on ne saurait douter que l’étude de ces organismes n’intéresse la psychologie[1]. Sans doute la tendance non plus n’est pas chez eux ce qu’elle est dans les êtres supérieurs, mais au moins il est plus aisé de saisir les différences et de n’être pas dupe des ressemblances de mots. En fait les tendances sont essentielles et les phénomènes subjectifs sont relativement accessoires ; c’est pour connaître les tendances que nous les étudions, et, par conséquent, nous étudierons aussi les tendances quand ce sont elles seules que nous pouvons atteindre.

Je n’insiste pas ici sur les rapports généraux des tendances et des phénomènes psychiques, ayant exposé ailleurs la théorie qui me semble vraie[2]. Mais je voudrais en dire quelques mots au point de vue du sujet dont je dois m’occuper ici. Il s’agit de savoir, en particulier, si les termes de général, d’abstrait peuvent convenir à des tendances aussi bien qu’à des idées, et cela sans doute se pourrait déduire de la théorie générale, mais il n’est sans doute pas inutile de l’établir directement.

M. Pannier, dans un article sur le syllogisme et la connaissance, a émis une vue qui me paraît juste au fond, malgré les critiques de détail qui pourraient lui être adressées. « Ou l’expérience, dit-il, n’apporte en nous aucun changement ou ce changement doit pouvoir être conçu comme une disposition mentale d’une certaine durée, n’attendant qu’une occasion pour se manifester par un effet déterminé. Cette tendance existe en nous sans aucune acception des circons-

  1. Voir les intéressants articles de M. Binet, Revue philosophique, novembre et décembre 1887.
  2. Voir l’introduction de mon volume, les Phénomènes affectifs.