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de la conscience vers les perceptions à un moment donné, comme si c’était une vue intérieure. Il a nommé point de fixation interne (innerer Blickpunkt) le fait de l’attention se fixant sur une partie de ces perceptions internes.

J’ai moi-même en récemment l’occasion d’étudier le champ de la vision mentale. Dans une note publiée par la Revue[1], j’ai rapporté l’observation d’un malade atteint de cécité verbale, qui quoique hémianopsique, c’est-à-dire privé d’une moitié latérale de son champ visuel, et par conséquent ne voyant que la moitié des objets qu’il regarde, peut se représenter mentalement les objets dans leur entier, sans les voir coupés en deux.

Chez ce malade, le champ visuel est lésé, et le champ de la vision mentale paraît intact. Pour expliquer ce fait, j’ai supposé que le champ de la vision mentale n’est pas la reproduction pure et simple, le décalque, d’un champ visuel particulier, mais est formé par la synthèse des divers champs visuels qui se succèdent lorsque l’œil est mobile ; c’est ainsi, disions-nous, qu’on peut comprendre comment un malade qui ne peut voir la totalité d’un objet que successivement, par suite de son hémianopsie, peut visualiser la totalité de cet objet simultanément. Il se produit en outre, ajoutions-nous, quelque chose de plus qu’une synthèse de champs visuels pour former le champ de visualisation ; car il est à remarquer que l’hémianopsique étudié arrive à se construire un champ de visualisation complet avec des moitiés latérales gauches de son champ visuel ; le malade peut arriver à projeter dans la moitié droite de son champ de visualisation des objets qu’il n’a vus que dans la moitié gauche, seule intacte, de son champ visuel. Il résulterait de ces deux faits que le champ de visualisation peut chez certains sujets différer sur bien des points du champ visuel.

Nous allons maintenant reprendre l’étude du champ de la vision mentale, en profitant de la nouvelle méthode que nous avons à notre disposition. Cette méthode nous permet d’éviter les difficultés qui ont arrêté jusqu’ici les psychologues. En effet, grâce aux excitations périphériques de la région insensible, chez des sujets hystériques, la vision mentale qui se produit consécutivement cesse d’être interne, subjective, et par conséquent insaisissable ; l’image visuelle est projetée au dehors, extériorisée, comme une sensation ; il est donc possible de se servir de la projection de ces images dans l’espace pour étudier avec une certaine précision leur position dans le champ de la vision mentale.

  1. Note sur l’hémianopsie dans ses rapports avec la vision mentale, décembre 1888.