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BINET.la vision mentale

timidement ; il ne se doutait pas que la matière fût si riche[1].

En premier lieu, les erreurs peuvent provenir du sujet, de ses distractions ou de ses négligences. Par exemple, j’agite vingt fois son index, du côté anesthésique ; il voit réellement, sur l’écran, une forme de doigt ou de bâton qui se soulève ; le nombre de mouvements reproduits par l’image est bien égal à vingt, mais le sujet néglige de compter les mouvements, il en oublie, il se trompe, absolument comme il pourrait se tromper en comptant les oscillations d’un pendule ; ce sont des erreurs d’observation.

Dans d’autres circonstances, l’erreur a une autre source. Lorsqu’on excite la peau avec deux pointes de compas qui ne sont pas suffisamment écartées, le sujet ne voit pas deux taches distinctes sur l’écran ; il n’en perçoit qu’une, qui est à la vérité plus grande qu’une tache produite par une seule pointe de compas, mais qui est unique. De même, lorsqu’on soulève un doigt de la main insensible, il se peut que le sujet soit incapable d’indiquer exactement quel est ce doigt, parce qu’il voit sur l’écran s’agiter deux doigts. C’est ce que dit nettement Lavr… ; quand on soulève l’annulaire, elle voit en même temps l’annulaire et l’auriculaire ; si on soulève l’index, elle voit en même temps l’index et le médius, etc. Dans tous ces cas, le sujet commet des erreurs qui ne proviennent pas d’un défaut d’attention, mais de l’infidélité de l’image.

Enfin, il se produit souvent une troisième espèce d’erreur, qui n’est pas la moins intéressante. Ainsi qu’on l’a vu par les détails donnés plus haut, le sujet ne reconnaît pas toujours la nature de l’image visuelle qui lui apparaît ; il prend un doigt pour un bâton, il décrit comme une tache une dépression de la peau, comme une raie un pli de la peau, etc. Ce sont là des erreurs de la reconnaissance, analogues à celles qui consistent, dans la perception extérieure, à prendre une personne pour une autre. Ces faits, croyons-nous, sont nouveaux. Ils établissent qu’on peut se tromper sur ce qu’on pense réellement, comme on peut se tromper sur l’objet extérieur que l’on voit. Il semble que rien n’est plus clair que l’objet de notre pensée ; c’est une erreur ; l’image qui passe dans l’esprit peut donner lieu à une illusion aussi complète que le corps matériel qui passe dans le champ visuel : on croit penser à un objet, quand en réalité l’objet dont l’image se présente à l’esprit est toute différente. On croit penser à un bâton, à une raie blanche marquée à la craie, à une colonne, quand en réalité on a l’idée visuelle d’un doigt.

Sans doute, de prime abord, il semble que de pareilles erreurs d’in-

  1. Les illusions des sens et de l’esprit, ch.  vi, p. 136.