Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
357
BINET.la vision mentale

est, comme nous l’avons déjà dit, perçue et interprétée comme si elle était une sensation rétinienne. Voici en effet la supposition la plus simple qu’on puisse faire à cet égard.

L’expérience nous a appris que, lorsque l’œil se meut, l’image des objets immobiles se déplace sur la rétine, tandis que l’image des objets qui se déplacent dans le même sens que l’œil (par exemple une fusée que nous suivons du regard) ne change point de position sur la rétine. Or l’image consécutive et l’image visuelle, pendant les mouvements de l’œil, ne sont accompagnées d’aucun changement de signe local qui nous apprenne qu’elles se sont déplacées sur la rétine ; cela tient évidemment à ce que ce ne sont pas des images rétiniennes ; mais nous tirons de là cette conclusion inconsciente que ces images se déplacent avec l’œil.

Il serait possible d’expliquer aussi facilement les changements de dimension de ces images suivant la distance de l’écran sur lequel on les projette. Nous avons fait cette démonstration ailleurs pour l’image consécutive ; elle suffira[1]. Rappelons seulement que, si les images paraissent changer de grandeur suivant la distance de l’écran, c’est tout simplement parce que leur grandeur est invariable.

Ce qu’il y a de très intéressant dans ces phénomènes, c’est qu’une image purement mentale est perçue comme une sensation ; les résultats de notre expérience acquise dans la perception des sensations sont même transportés à la perception des images. Il y a là une curieuse analogie entre le processus de la vision mentale et celui de la vision extérieure ; analogie qu’on peut résumer en disant : on perçoit une image, comme on perçoit une sensation[2].

Seulement, dans le cas d’une image consécutive et d’une image visuelle, ce processus d’interprétation et de perception est au minimum ; car il porte sur certaines qualités de grandeur, sur les qualités géométriques de l’image, et non sur sa signification, c’est-à-dire sur l’objet qu’elle représente.

Il n’en est pas de même dans une hallucination suggérée, et ici tout devient infiniment plus complexe. La suggestion a fait naître une image hallucinatoire ; elle est perçue et interprétée, puisque c’est la règle pour toute image, mais l’interprétation est bien plus compliquée et plus importante. L’halluciné comprend la nature et la signification de l’image hallucinatoire ; il sait que c’est tel objet, par exemple un oiseau, un livre, un arbre ; par conséquent son

  1. Psychologie du raisonnement.
  2. Helmholtz a établi cette règle pour les sensations visuelles subjectives, telles que les phosphènes, etc. Nous ne faisons qu’étendre aux images visuelles la même règle ; voir Opt. physiologique, p. 780.