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BINET.la vision mentale

caractères lui apparaissent, noirs sur blancs, c’est-à-dire tels qu’on les faits tracer réellement à la main anesthésique ; c’est là un bel exemple de vision mentale développée. Il est évident que la vision mentale des lettres est déterminée par les sensations kinesthétiques inconscientes qui accompagnent les mouvements graphiques passifs imprimés par l’opérateur à la main du sujet.

Comment le sujet explique-t-il l’apparition de ces images visuelles sur l’écran qu’il regarde fixement pendant les expériences ? Le plus souvent, il ne les explique pas, il ne les comprend pas, et il presse de questions l’expérimentateur. Lorsqu’il s’agit d’une image produite par excitation périphérique, le sujet qui ignore complètement qu’on le soumet à une expérience de sensibilité ne localise jamais l’image visuelle dans la région explorée ; il ne considère pas cette image comme une perception correspondant à quelque chose de réel, et il ne cesse pas un seul instant de croire à son anesthésie. Ceci peut nous faire comprendre ce fait étonnant qu’on n’ait pas jusqu’ici, en étudiant l’anesthésie hystérique, remarqué que le sujet qu’on croit totalement insensible sent les excitations, mais sous une autre forme. Si nous demandons à un de nos sujets, qui distingue sous forme visuelle les deux pointes de compas, s’il sent qu’on le pique, la réponse est constamment négative, et le jour où, ayant terminé une série d’expériences, j’ai révélé à deux de mes malades les faits précédents, l’un d’eux a éprouvé un étonnement extraordinaire, et l’autre s’est obstinément refusé à croire à la réalité du fait, déclarant qu’il était complètement insensible.

On peut observer un phénomène analogue, lorsqu’on provoque des mouvements inconscients de répétition et d’adaptation dans les membres anesthésiques. Le sujet a une vision mentale plus ou moins nette de ces mouvements, mais n’a jamais l’idée de les croire réels, de les mettre en rapport avec un de ses membres, ni de les attribuer à sa volonté et à son initiative. Ces mouvements sont bien déterminés, comme nous l’avons dit ailleurs, par une volonté inconsciente, c’est-à-dire ignorée du sujet.

III

L’intensité de la vision mentale.

Si l’on étudie méthodiquement, au moyen de la piqûre, les impressions visuelles que détermine l’excitation des régions anesthésiques, on constate que ces impressions visuelles peuvent être réparties, au point de vue de la couleur, en trois catégories principales : les