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BINET.la vision mentale

nomènes visuels. Je n’insiste pas sur deux précautions préalables : s’assurer de la présence de l’anesthésie, et faire les excitations en dehors de la vue du sujet, soit en employant un écran, soit en expérimentant sur la main du sujet ramenée derrière son dos. Tout cela va de soi. Le point important est de constater l’existence des images visuelles sans les créer par suggestion. Il faut donc amener le sujet à parler spontanément de ces images. D’autre part, pour que ces images visuelles soient bien nettes, il faut éliminer du champ de conscience du sujet les autres impressions qui se produisent lorsqu’on irrite son tégument.

Nous avons dit que chez un individu normal une sensation tend à provoquer, par le jeu de l’association, des images appartenant à tous les autres sens ; une sensation de la vue par exemple éveille des images tactiles, musculaires, sonores, et souvent des images olfactives et gustatives. Nous devons, par conséquent, nous attendre, lorsque nous faisons une excitation périphérique chez un sujet hyperexcitable, à provoquer toutes ces espèces d’images à la fois. Si on veut en étudier une seule, et lui faire prendre place dans la conscience du sujet, il est nécessaire d’éliminer les autres.

J’ai trouvé tout à fait empiriquement le moyen de satisfaire à ces différentes conditions. Supposons qu’on veuille étudier des images visuelles. Il faut commencer par fixer l’attention du sujet sur des sensations visuelles, par exemple en le faisant lire. Puis on fait une pression intense sur la région anesthésique, ou bien on provoque une contracture. Dans ces conditions, l’image visuelle produite par excitation périphérique s’extériorise sur la page imprimée, couvre les caractères, empêche la lecture, et alors le sujet s’arrête. Si ensuite on lui fait des piqures sur la main ou qu’on trace des lignes, le sujet voit tout cela sur son livre et peut le décrire spontanément, sans qu’on l’interroge.

Au début de mes recherches, j’ignorais ce procédé si simple. Je me bornais à faire un certain nombre d’excitations, puis je demandais au sujet de penser à un chiffre ; le plus souvent le nombre choisi était celui des excitations. C’est la méthode qu’on trouve décrite dans mon précédent article. Je demandais aussi aux sujets sous quelle forme ils se représentaient le chiffre, et ceux qui comprenaient la question répondaient qu’ils le voyaient. Ce résultat ne m’étonnait pas, car j’avais déjà observé que lorsque l’hystérique pense à un chiffre, et qu’on place une plume dans sa main, il écrit le chiffre inconsciemment ; ici c’était le processus inverse ; la représentation consciente du nombre au lieu de provoquer le mouvement graphique inconscient était provoquée à son tour par le mouvement graphique