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JANET.introduction a la science philosophique

posent les législateurs humains, autant de mystères auxquels les néokantiens croient comme à l’Évangile. Non seulement tout cela ressemble à de la théologie, mais bien plus on peut dire que tout cela n’est au fond que la théologie protestante traduite en langage philosophique.

Ces analogies, ces affinités profondes de la théologie et de la philosophie nous expliquent comment il se fait que souvent les plus croyants en religion ont été les plus hardis en métaphysique ; pourquoi les Pascal, les Malebranche et les Fénelon sont les plus téméraires des métaphysiciens français. Dans l’histoire de la philosophie, saint Anselme, le cardinal de Cusa, etc., sont aussi au nombre des plus hardis penseurs, sans compter dans l’antiquité Origène, Denys l’Aréopagite, etc. Bien loin d’étouffer la pensée, la grande théologie la conduit sur les cimes les plus élevées et la doctrine des mystères lui ouvre les voies les plus larges.

Je voudrais tirer une conclusion pratique de cette étude : c’est que je crois peu philosophique de laisser entièrement de côté, comme n’ayant rien à apprendre aux philosophes, l’étude de la théologie. Je crois au contraire qu’un philosophe qui entrerait dans cette étude en retirerait du profit. Je voudrais que les théologiens eux-mêmes en revinssent aux fortes études théologiques et ne craignissent pas plus que leurs anciens d’en tirer de savantes conceptions métaphysiques. Au moins au point de vue historique, l’histoire savante de la théologie serait un complément utile à l’histoire de la philosophie. Même au point de vue dogmatique, les esprits libres qui sont placés au point de vue rationaliste pourraient trouver dans cette étude quelque chose qui féconderait leur propre pensée. Bien loin de croire avec les positivistes que l’esprit humain doit s’écarter de la théologie aussi bien que de la métaphysique, pour se borner aux sciences positives, je pense au contraire que l’on doit revenir des sciences positives à la métaphysique, et de la métaphysique à la théologie, afin que toutes les sphères de la pensée humaine soient en même temps cultivées.

Paul Janet,
de l’Institut.