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BINET.la vision mentale

passe dans les perceptions tactiles normales. Par suite des associations multiples qui se font entre nos différents sens et leurs images, nous ne pouvons pas éprouver une impression de contact sans qu’aussitôt, par le mécanisme bien connu de l’association des idées, il s’éveille en nous différentes images, sonores, motrices, visuelles, qui ont pour effet de servir à l’interprétation de la sensation tactile. Parmi ces images, il en est une qui est prédominante chez un grand nombre de personnes : c’est l’image visuelle. Lorsqu’on touche un objet les yeux ouverts et fixés sur sa main, l’image visuelle est peu apparente, mais il suffit de fermer les yeux ou de se trouver dans une chambre obscure pour reconnaître que chaque objet qu’on touche détermine l’image visuelle, plus ou moins intense, de sa couleur ou de sa forme. Ces phénomènes de suggestion visuelle par le toucher sont surtout bien développés chez les somnambules naturels, comme l’a montré M. Max Simon. Il se produit aussi, dans ces conditions, des images sonores et motrices que nous négligeons pour le moment, et sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Chez l’hystérique, que se passe-t-il de nouveau ? Je prends la main anesthésique d’un de nos sujets, je la ramène derrière son dos, je la pique ; le sujet ne sent rien, il est, disons-nous, anesthésique. Mais si je place dans sa main une clef, un dynamomètre, un porte-plume, un objet quelconque qui lui est familier, le sujet se représente cet objet ; il voit, dans son esprit, la clef, le dynamomètre, le porte-plume, l’objet quelconque que l’on a placé dans sa main anesthésique, exactement comme nous-mêmes nous nous représenterions ces objets si nous les touchions dans l’obscurité.

Il y a bien une différence entre les deux cas que nous comparons, différence très importante et très curieuse : c’est que, lorsque nous touchons un objet dans l’obscurité, nous avons une impression tactile, et que cette impression tactile fait défaut chez le sujet hystérique qui est insensible. Mais nous savons aujourd’hui ce que c’est que l’anesthésie hystérique ; nos expériences montrent que la sensation n’est pas détruite ; c’est simplement une anesthésie par inconscience. En effet, la sensation produite sur une région insensible produit des mouvements d’adaptation qui prouvent que la sensation a été enregistrée, si elle n’a pas été perçue d’une manière consciente. Un psychologue admettra facilement qu’une sensation inconsciente peut provoquer des images conscientes. Je n’ai qu’à renvoyer à ce sujet à un chapitre remarquable de Stuart Mill[1].

  1. Examen de la philosophie de Hamilton, ch.  xv : Les modifications inconscientes de l’esprit.