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la région anesthésique, quoiqu’elle ne fût pas sentie comme sensation localisable dans la peau, pénétrait toutefois dans la conscience du sujet sous forme d’idée. Ces faits accidentels furent mis en réserve ; ne les comprenant pas, je les enregistrai avec répugnance[1] ; plus tard, le hasard d’une nouvelle expérience m’enseigna le moyen de les provoquer ; ainsi commença une seconde série de recherches publiées ici même, qui ont montré que, chez l’hystérique, il se produit une image visuelle à la suite de l’excitation tactile d’une région insensible[2]. À leur tour, ces dernières expériences m’en ont suggéré d’autres. En effet, ces expériences ne nous donnent pas seulement des renseignements sur la nature de l’anesthésie hystérique ; elles offrent un moyen commode d’étudier la vision mentale, puisqu’il suffit d’exciter une région insensible pour faire jaillir en quelque sorte dans l’esprit du sujet une image visuelle qui persiste autant que l’excitation. Voilà comment cette troisième série de recherches, que je vais exposer, se greffe sur les précédentes. Je ne m’occupe plus ici de l’anesthésie hystérique, mais seulement de la vision mentale ; l’anesthésie hystérique, après avoir été le but de mes recherches, devient un moyen, un procédé d’étude pour un autre phénomène[3].

Les expériences dont le récit va suivre ont été faites sur une quinzaine d’hystériques, dont la plupart appartiennent au service de M. Charcot à la Salpêtrière. Ces malades sont les nommées Schey…, Cless…, Lavr…, Habil…, St-Am…, Demang…, Par…, Camp…, Jum…, Pacq…, Blanchar…, Rich…, Mél…, Savin…

Je tiens beaucoup à enlever à mes expériences sur la vision mentale, le caractère mystérieux ou surnaturel qu’on serait tenté de leur attribuer au premier abord. Je crois donc devoir, dès le début, insister sur la psychologie de la question. Il me semble qu’il n’est pas difficile de montrer que ces images, ces représentations visuelles provoquées par excitation périphérique se retrouvent chez tous les individus normaux, mais se présentent simplement avec un caractère moins accentué que chez l’hystérique. Pour comprendre la légitimité de ce rapprochement, il suffit de se rappeler ce qui se

  1. Il est curieux de remarquer sur soi-même la peine qu’on a à observer les faits qu’on n’a pas prévus ou qu’on ne comprend pas ; inconsciemment, on cherche à les éliminer ; cependant ce sont les faits les plus intéressants, les plus féconds, et je crois qu’un observateur doit surtout s’attacher à enregistrer ce qu’il ne comprend pas.
  2. Les altérations de la conscience chez les hystériques. (Rev. phil., février 1889.)
  3. Un résumé de mes observations a paru dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, 17 décembre 1888.