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JANET.introduction a la science philosophique

La raison est que le premier principe doit être absolument un, que l’intelligence n’est pas une ; car elle implique la dualité de l’intelligence et de l’intelligible et, comme nous disons, la distinction du sujet et de l’objet, de l’être et de la pensée : or partout où il y a dualité, il faut aller au delà. Le premier principe sera donc au-dessus de la pensée et au-dessus de l’être. Il sera par là même au-dessus de notre intelligence (ἐπέκεινα τῆς νοήσεος). Nous ne pouvons en parler que négativement ; nous savons cependant qu’il est et qu’il n’y a rien de plus parfait.

Qui pourrait contester à cette doctrine le caractère de mystère ? Peut-être au contraire lui reprochera-t-on précisément d’être trop un mystère, et de n’être pas assez une doctrine philosophique. Cependant, on y est conduit par le raisonnement et la réflexion. Elle est donc philosophique au même titre que toutes les autres hypothèses des philosophes : car si Dieu est, par essence, l’être en soi, il doit y avoir en lui une raison de son être, comme le disait Descartes ; et, s’il est l’intelligence en soi, il doit y avoir en lui une raison de son intelligence. Or cette raison de l’intelligence et de l’ètre doit être quelque chose de supérieur à l’intelligence et à l’être ; autrement il n’en saurait être la raison. On voit que cette conception repose sur la raison elle-même et non pas seulement sur le sentiment, l’extase ou la foi. C’est la raison elle-même qui encore ici atteste la nécessité de quelque chose de supérieur à la raison. Et cependant comment nous serait-il possible de comprendre quelque chose de supérieur à l’intelligence et à l’être, puisque, ne possédant l’un et l’autre que par participation, il nous est impossible de pénétrer jusqu’à leur essence ? Nous ne pouvons donc que croire à ce principe transcendant. Est-ce là autre chose qu’un mystère ?

Je ne parlerai pas des philosophes comme Malebranche ou comme Pascal qui ont introduit la théologie dans la philosophie, celui-ci en proposant la doctrine de la chute originelle comme solution du problème du mal, celui-là en affirmant que le motif de la création pour Dieu a été l’Incarnation du Verbe ; car c’est là le seul motif digne de lui, Dieu ne pouvant agir que pour un motif infini, et le motif ne pouvant être autre que la présence de l’infini dans la création. Ces conceptions de Pascal et de Malebranche vont au delà de ce que nous prétendons soutenir : ce n’est plus seulement l’affinité des deux sciences, c’est leur fusion et peut-être leur confusion. Mais combien d’autres doctrines peuvent être signalées comme portant le caractère de mystère ! Par exemple la doctrine si célèbre et si scandaleuse de Hegel sur l’identité des contraires n’a-t-elle pas pris sa source dans le besoin de la raison de s’élever au-dessus