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de celles qui existent en les améliorant. Pour cela il faut les connaître et par conséquent il est impossible d’en faire abstraction. Mais si pour la pratique on ne peut se passer d’expérience, la science pure, la théorie n’est pas dégagée par induction des faits historiques. Elle ne peut être obtenue que par « une connaissance immédiate des motifs de toutes les actions, grâce à une conscience délicate et développée ». Déjà Ch. Thurot avait signalé le caractère trop méconnu de la politique aristotélicienne. M. Lutoslawski reprend la même idée en l’accentuant encore et conclut en disant que la méthode d’Aristote dans sa Politique est purement a priori. Il ne lui en fait pas un crime d’ailleurs ; il croit au contraire qu’elle dispense de l’érudition et peut suffire à tout et, comme nous allons le voir, il l’a lui-même pratiquée (p. 72). Nous ne saurions discuter en passant une assertion aussi importante. Nous croyons volontiers qu’on a parfois exagéré et mal compris ce qu’on a appelé l’esprit expérimental d’Aristote. Aristote est essentiellement un métaphysicien et reste tel dans les sciences morales et sociales. Mais il y a aussi un véritable excès à faire de lui un pur aprioriste, notamment en politique. Quand, comme lui, on déclare si fermement que la société est antérieure à l’individu, quand on a un sentiment aussi vif de la réalité de l’être social, de son caractère individuel et sui generis, on ne peut admettre que les faits sociaux soient simplement des faits psychiques transformés et la sociologie une déduction et une application de la psychologie. Tout ce que nous voulons dire en somme, c’est que les procédés d’Aristote et sa méthode sont trop complexes et trop personnels pour pouvoir être définis par un mot aussi simple et aussi vague que celui d’induction ou de déduction.

Puisque la théorie d’Aristote n’a pas d’autre base que la connaissance de l’âme humaine en général, on devrait s’attendre à ce qu’elle pût s’appliquer à tous les pays et à tous les temps. Cependant notre auteur reconnaît qu’il n’en est rien et qu’elle ne saurait convenir aux types de sociétés actuellement existants. En effet il n’existe pas aujourd’hui une seule des constitutions qu’Aristote a analysées. La monarchie constitutionnelle et la république sont choses entièrement différentes de la démocratie, de l’oligarchie, de l’aristocratie et de la tyrannie décrites par Aristote. Il ne faut pas croire pourtant que la politique d’Aristote soit pour cela fausse et inapplicable à notre temps. La différence entre les sociétés distinguées par Aristote et les sociétés contemporaines n’est pas aussi profonde qu’il peut sembler au premier abord. Les premières ne sont pas autre chose que le schéma des secondes. Celles-ci peuvent être déduites de celles-là. Pour les construire, il suffit de prendre pour bases les sociétés décrites par Aristote et de les modifier de manière à les mettre en conformité avec la grande nouveauté qui sépare les temps modernes de l’antiquité. Cette nouveauté, c’est la suppression de l’esclavage. Tandis que l’esclavage est la caractéristique des petites sociétés anciennes, la liberté et l’égalité des citoyens sont le signe distinctif des grandes sociétés contemporaines. Tenez