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ANALYSES.a. pitres. Des Anesthésies hystériques.

hystérique qui ne voit pas le vert d’un œil, et qu’on dédouble le point avec un prisme, l’hystérique voit deux points verts. De même, enfin, il y a des sujets qui ne voient pas les couleurs avec l’un et l’autre cil isolément, mais les voient bien quand les deux yeux sont ouverts. Il résulte de tout cela que la vision binoculaire est chez l’hystérique toute différente de la vision monoculaire. Certains malades qui n’y voient pas ou qui y voient mal d’un œil quand l’autre il est fermé, y voient distinctement des deux yeux quand les deux yeux, synergiquement associés dans une fonction commune, reçoivent ensemble des impressions visuelles.

Voilà le fait. Comment l’expliquer ? Deux théories ont été mises en avant. La première, celle de M. Parinaud, repose sur l’idée que les centres intra-encéphaliques, dans lesquels se forment des perceptions visuelles, ne sont pas les mêmes pour la vision binoculaire et pour la vision monoculaire, et que par conséquent les uns peuvent être paralysés ou parésies alors que les autres jouissent encore de toutes leurs propriétés physiologiques.

Une autre théorie est celle de M. Bernheim, qui pense que la cécité hystérique est un phénomène purement psychique, une illusion de l’esprit et non pas une véritable anesthésie sensorielle. « L’hystérique amblyope, dit-il, neutralise inconsciemment, avec son imagination, l’image visuelle qu’elle perçoit normalement. » Cette interprétation a été adoptée par plusieurs auteurs et notamment par M. Pierre Janet. Ce qui a fait son succès, c’est qu’elle affirme implicitement que l’anesthésie hystérique n’est pas une suppression de la sensation, mais un passage de la sensation à l’état inconscient. Les expériences de M. Janet et celles de M. Féré et de moi démontrent que, malgré l’anesthésie, la sensation continue à être enregistrée physiologiquement. Mais je ne crois pas qu’il soit exact de dire, pour expliquer ce phénomène d’inconscience, que l’hystérique neutralise avec son imagination les sensations qu’elle reçoit. Cela semblerait supposer que l’inconscience provient d’un phénomène d’auto-suggestion, hypothèse absolument gratuite. D’ailleurs, M. Pitres montre qu’on peut, même en admettant l’hypothèse, faire une objection importante à M. Bernheim. « Je ne comprends pas comment l’hystérique peut neutraliser, inconsciemment, avec son imagination, les perceptions monoculaires, et ne pas neutraliser, inconsciemment aussi, les perceptions binoculaires, ou tout au moins la partie des perceptions binoculaires qui provient de l’œil amblyopique[1].

Je propose une troisième explication, qui résulte directement des expériences de M. Féré sur la dynamogénie produite par les excitations sensorielles. Puisqu’il est aujourd’hui bien avéré que chez les hyperexcitables et les hystériques en particulier toute excitation périphérique détermine une augmentation non seulement de la force motrice, mais de la sensibilité, il est vraisemblable que, lorsque les deux yeux

  1. P. 61.