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ANALYSES.piderit. La Mimique et la Physiognomonie.

rendre justice et de lui en faire honneur. Les Allemands, qui n’ignorent rien, doivent connaître Laurent Joubert. À propos des larmes, ces soupapes de sûreté, comme il les appelle, M. Piderit développe non sans quelque lourdeur cette idée juste que les femmes ont le secret de soumettre les larmes à l’empire de la volonté. Je me permettrai de lui proposer cette explication de notre très français psychologue, explication qui remplace de longs développements : « Les femmes ont des éponges pleines d’eau entre les épaules, et de là un tuyau au long du cou qui va aux yeux. Donc si elles veulent pleurer, seulement en pressant les épaules elles expriment abondamment de cette eau qui monte aux yeux par son canal. » Je trouve enfin que M. Piderit est sévère pour notre Duchenne de Boulogne, admiré par Darwin (il est vrai que Darwin lui-même ne trouve pas grâce devant lui) : il l’accuse de n’avoir étudié que des grimaces artificielles. Mais c’est précisément cet artifice d’expérimentation, cette analyse électrique des muscles qui fait son originalité et la haute valeur de ses recherches : la vivisection emploie aussi de ces artifices, est-ce une raison pour contester sa valeur scientifique ? Qu’importe que les mouvements musculaires observés « ne soient pas amenés par ses causes intérieures, mais par des causes extérieures, par une volonté propre, mais par une volonté étrangère, » pourvu que le mécanisme de la physionomie humaine soit bien observé et bien interprété ?

Pareillement, il y a quelque injustice à dire avec Wundt et Piderit que le système de Darwin n’a pas trouvé de partisans parmi les savants, que ses trois lois de l’expression sont inexactes et tautologiques, et qu’en dernière analyse il n’a démontré qu’une chose, la similitude universelle des mouvements d’expression chez les différentes races et la transmission héréditaire de certaines formes déterminées et individuelles d’expression. Tous ses devanciers en physiognomonie sont également maltraités : il dit d’Aristote que, « si le ton de son ouvrage n’était pas si sérieux, on serait tenté de prendre ses opinions pour des plaisanteries » ; J.-B. Porta s’est rendu indigne d’indulgence pour avoir « comparé Platon avec un prudent chien de chasse ». Leurs imitateurs et Carus lui-même n’ont fait que souffler de nouveau sur le charbon éteint » ; Lavater est un mystique qui se paye de vains mots ; Gall, un esprit systématique, qui n’est pas même d’accord avec son propre système, « puisqu’il laisse tout à fait hors d’étude un cinquième environ de la surface du grand cerveau, c’est-à-dire les parties qui se trouvent au-dessus de l’orbite osseuse des yeux et celles qui se trouvent au fond de la fente centrale qui partage le cerveau en deux moitiés latérales ». À propos de Gall, M. Piderit combat la légende des grands fronts qui a faussé tant d’œuvres d’art : les Grecs, nous dit-il, donnaient à leurs dieux « un front droit, il est vrai, mais plutôt bas que haut ». Le front olympien de Goethe ne serait, paraît-il, qu’un mythe. Si le cerveau n’était, selon l’hypothèse de Carus qui complète celle de Gall, que le développement et l’épanouissement de la moelle épinière, il paraî-