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reconnu aussi trois personnes dans la Trinité ; mais outre que, dans la foi chrétienne, le mot de personne est arrivé à prendre un sens de plus en plus concret, et qu’au lieu de puissances abstraites et métaphysiques, on a entendu par là des personnalités vivantes et concrètes ; outre cette première différence, il y en a une autre : c’est que, dans la théologie chrétienne, les trois personnes sont égales entre elles, tandis que, dans la théologie alexandrine, elles sont inégales, et que chacune dérive de la précédente par voie de descente et de chute. Ainsi au plus bas degré est l’Ame ou principe de vie : c’est l’âme du monde, c’est le dieu stoïcien. Plus haut est l’Intelligence (le Νοῦς), qui est en même temps l’Être ; car l’être, c’est l’intelligible, et il y a identité entre l’intelligible et l’intelligence : c’est en même temps le dieu de Platon et celui d’Aristote. Mais Aristote s’arrête là. Il pense que l’identité de l’intelligible et de l’intelligence suffit pour constituer l’unité divine. Platon semble déjà avoir voulu s’élever plus haut et, dans quelques textes obscurs de la République, on pressent la doctrine alexandrine.

« Aux dernières limites du monde intellectuel, dit-il dans la République, est l’idée du bien, qu’on aperçoit avec peine, μογις ὅφθεῖοα, mais qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y a de beau et de bon, et que c’est elle qui produit directement la vérité et l’intelligence. » (VII, Cousin, p. 70.) — « Considère cette idée comme le principe de la science et de la vérité ; et quelque belles que soient la science et la vérité, tu ne te tromperas pas en pensant que l’idée du bien en est distincte et la surpasse en beauté ; que l’on peut considérer la science et la vérité comme ayant de l’analogie avec le bien ; mais on aurait tort de prendre l’une et l’autre pour le bien lui-même, qui est d’un ordre tout autrement relevé. » On voit par ces textes que Platon plaçait déjà le bien au-dessus de l’intelligence, tandis qu’Aristote l’identifiait à l’intelligence ; mais, dans un autre passage, Platon allait plus loin encore : « Tu peux dire, ajoutait-il, que les êtres intelligibles ne tiennent pas seulement du bien ce qui les rend intelligibles, mais encore leur être et leur essence, quoique le bien lui-même ne soit point essence, mais quelque chose fort au-dessus de l’essence en dignité et en puissance, οὐκ οὖσίας ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ, ἀλλ’ ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας, πρεσβείᾳ καὶ δυνάμει ὑπερέχοντος. » Ainsi, dans Platon déjà, au moins dans un passage, on voit l’idée du bien supérieure non seulement à l’intelligence, mais à l’essence. Cette doctrine a été développée par l’école d’Alexandrie, qui en a fait la base de sa philosophie. Plotin enseigne explicitement que, pour trouver le principe suprême ou le bien, il faut s’élever au-dessus de l’intelligence et de l’être.