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ANALYSES.h. joly. Le Crime, étude sociale.

que dit M. Joly est à retenir. Il n’admet pas plus que moi la prétendue loi d’inversion entre la marche du suicide et celle de l’homicide. — Des recherches de Brière de Boismont et de statistiques plus récentes, il résulte que la souffrance morale est la cause principale, presque unique, de la mort volontaire, et qu’une part extrêmement faible, une part en outre toujours décroissante, de cette souffrance morale est imputable à la honte ou au remords d’une faute. En revanche, et par conséquent, une part énorme en revient au souvenir des fautes ou des crimes d’autrui. Le mari ou la femme trahis ont quelquefois la sottise de se tuer, quand on ne les tue pas ; car il est à remarquer que, d’après Guerry, 96 fois sur 100, dans le cas d’adultère découvert, « c’est l’époux coupable qui attente à la vie de l’époux outragé ». Ici comme toujours l’innocent paye pour le coupable. Mais jamais celui-ci ne se fait justice à lui-même. — On ne se tue guère par remords : cela signifie, je crois, que, chez très peu de gens, le remords est la plus vive et la plus insupportable des douleurs. De là on peut induire que, dans les situations fausses d’où l’on ne peut sortir que par la mort d’autrui ou la sienne propre, la répugnance au meurtre ne l’emporte presque jamais sur la répugnance à mourir.

J’aurais bien envie à mon tour de chercher querelle à M. Joly pour ses appréciations relatives à la criminalité féminine, où il se montre peu galant. Les statistiques le gênent un peu : la proportion des femmes aux hommes dans les prisons est de 3 à 97 dans les Indes, au Japon, dans l’Amérique du Sud, un peu supérieure aux États-Unis, plus encore en Europe, et, même dans cette dernière partie du monde, elle n’excède pas le rapport de 14 à 85. Ce qui nous frappe, nous, dans cette comparaison, c’est que la distance des chiffres va s’abrégeant à mesure que la civilisation, chose avant tout masculine, s’élève, c’est-à-dire à mesure que la femme s’urbanise, se civilise, se masculinise. Mais M. Joly ne voit pas les faits sous cet angle. Si la femme commet moins de délits, c’est, d’après lui, parce qu’elle a beaucoup moins d’occasions d’en commettre dans sa vie retirée. C’est aussi qu’il y a force délits exclusivement réservés aux hommes. Quant aux délits exclusivement ou principalement féminins, infanticide, avortement, vols domestiques[1], on sait leur fréquence. Ajoutons-y les délits que les femmes font commettre aux hommes : ne sont-elles pas l’âme des associations de malfaiteurs ? « La femme sanguinaire n’est pas seulement plus féroce et plus cynique, elle est aussi plus sophiste. » La femme criminelle a plus de peine que l’homme à revenir au bien ; il en est ainsi de la femme folle, dont la folie est plus rare, mais plus incurable, que celle de l’homme. Il y a de derniers bas-fonds de dépravation où la femme seule ose descendre : « Le souteneur femelle (dans la prostitution antiphysique des femmes pour femmes) est encore

  1. Le vol féminin, tel qu’il se pratique dans les grands magasins de Paris, ne doit pas être oublié.