Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
ANALYSES.h. joly. Le Crime, étude sociale.

On ne sera pas surpris que M. Joly, en psychologue distingué qu’il est, accorde une grande place à la psychologie des criminels. Il abonde à cet égard en observations nombreuses et variées, puisées aux meilleures sources, et qui visent toutes à combler le fossé tranché par l’école nouvelle d’Italie entre le criminel et nous. Toutes les manifestations de sa pensée, depuis ses poésies jusqu’à ses dessins sur les murs ou à ses tatouages sur son propre corps, sont aussi banales que grossières. Ses lectures préférées, d’après le calcul des livres le plus souvent puisés aux bibliothèques pénitentiaires, sont à peu près celles de nos enfants quand ils puisent librement aux bibliothèques scolaires. — Le délinquant n’est pas moins intelligent que nous « J’ai demandé, dit-il, aux deux instituteurs de la Grande-Roquette s’ils trouvaient leurs pensionnaires moins intelligents, en général, que les enfants dont ils avaient fait ailleurs l’éducation dans les écoles ordinaires. Ils m’ont répondu qu’ils les trouvaient plutôt d’une intelligence plus éveillée. » Peut-être, répondrait à cela Lombroso, par la même raison qui explique la précocité intellectuelle des jeunes sauvages jusqu’à un certain âge où ils subissent un brusque arrêt de développement. Il est de fait que le malfaiteur adulte est plutôt rusé qu’intelligent, et se spécialise très vite, très étroitement, dans la pratique d’un ou deux tours, les seuls qu’il ait dans son sac.

Le criminel, d’après M. Joly, n’est ni analgésique, ni disvulnérable, d’après le témoignage des chirurgiens et des infirmiers de nos prisons, de nos prisons parisiennes, bien entendu. Le serait-il d’ailleurs, il n’y aurait rien d’atavistique dans ce privilège : car les sauvages sont assez douillets, si l’on en croit certains missionnaires. On est trop porté, en lisant le récit de leurs affreux supplices supportés sans un cri, sans une larme, à les taxer d’insensibilité pour n’avoir pas à admirer leur héroïsme. Je relis en ce moment la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith, et j’y suis frappé de la justesse de ces développements, avec preuves à l’appui, sur ce thème : « Chez les nations civilisées, les vertus qui sont fondées sur l’humanité sont plus cultivées que celles qui ont pour base la modération et l’empire sur les passions ; parmi les peuples grossiers et barbares, les vertus qui tiennent à l’empire sur soi-même sont au contraire plus honorées que celles qui tiennent à l’humanité. » Smith nous en donne la raison : « la fermeté est plus nécessaire à un sauvage que l’humanité, et l’humanité que toute autre vertu à un homme civilisé. » Or, c’est en cela surtout que le criminel par métier ressemble au sauvage : il lui est nécessaire de ne jamais s’attendrir ni sur lui-même ni sur les autres, et de supporter stoïquement la faim, le froid, la misère, la douleur sous toutes ses formes.

Ce qu’il y a d’anormal dans l’âme du criminel, c’est sa volonté, qui est tombée malade par sa faute. Le criminel, dit M. Joly, s’est perverti « en se séduisant lui-même », de la même manière qu’un débauché séduit une jeune fille. Car « comme on séduit les autres, on se séduit