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ni le tempérament d’enfants voués à la folie » et ne ressemblent en rien « aux enfants malingres, arriérés, scrofuleux, nés de parents épileptiques ou alcooliques ». Il est vrai que la population des prisons donne une proportion de cas de folie, surtout de folie alcoolique, supérieure à celle de la population libre (pendant qu’elle fournit à l’inverse un contingent inférieur et toujours décroissant de cas de suicide) ; mais ce résultat peut être dû en partie, l’auteur le reconnaît, à ce qu’un certain nombre de véritables aliénés, à folie non apparente, sont condamnés à tort par les tribunaux. On voit que les spiritualistes éclairés ne laissent pas de faire ici sa part légitime à l’école aliéniste. Rappelons que, d’après M. de Aramburu, autre adversaire classique des idées nouvelles, « le champ de l’irresponsabilité s’accroît sans cesse et le domaine de la justice pénale se rétrécit ».

Quant à cette demi-folie à laquelle, sous le nom de dégénérescence ou de déséquilibration, M. Féré et d’autres savants contemporains font jouer un si grand rôle en criminalité, M. Joly l’écarte après examen. Les « prétendus stigmates héréditaires », dont on s’est emparé pour lui faire un signalement anatomique, une sorte de timbre fatal, « viennent le plus souvent de maladies accidentelles, convulsions, scarlatines, paralysies infantiles, etc. », suivant M. Lacassagne et ses élèves. Ils n’ont aucune signification au point de vue de notre sujet. Le déséquilibré supérieur, grand esprit à volonté faible, pétri de paradoxes et d’inconséquences, sexuellement dépravé peut-être, n’a jamais maille à partir avec les tribunaux. Le dégénéré idiot, pas davantage ; quoi de plus inoffensif qu’un imbécile en général ? — En somme, tout ce qui a trait à l’aliénation et à la perturbation mentale est fort bien étudié par notre auteur ; il s’inspire des travaux accumulés par les aliénistes, mais il est loin de s’asservir à leurs conclusions, quoique l’un d’eux, chose assez piquante, le lui ait reproché. Il a ici son idée mère qui lui sert de guide et qui ne l’égare point.

Les frontières du crime, lesquelles n’ont rien de commun avec les frontières de la folie, fournissent à M. Joly un intéressant chapitre. Que de gens dits honnêtes côtoient ces frontières dont il est le touriste ! Songeons aux côtoiements journaliers du vol par les fraudes commerciales ou civiles, du meurtre par les sophistications alimentaires. Songeons aux bandits impunis de la presse qui détroussent l’honneur des gens et vivent de ses dépouilles. Nos législations civilisées, à cet égard, offrent une lacune énorme : elles rendent le duel obligatoire. Pendant qu’elles permettent à un voleur traité de fripon de faire condamner celui qui a eu le tort d’appeler ainsi un chat un chat, elles ne laissent le plus souvent à l’honnête homme diffamé dans un journal aucun moyen pratique de réparer le tort fait à sa réputation. — Autre large frontière du crime : le vagabondage. Il naît de l’abandon des enfants par la négligence paternelle. « De son étude statistique très approfondie, M. le conseiller Homberg a cru pouvoir conclure qu’à la première condamnation les vagabonds sont, sur l’ensemble des malfaiteurs,