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Henri Joly. Le crime, étude sociale (Léopold Cerf, 1888).

Si les criminels ont la vanité qu’on s’accorde à leur attribuer, ils doivent être bien contents de l’attention universelle dont ils sont à présent l’objet. Parmi les nombreux ouvrages qui sont consacrés à les peindre sous toutes les formes, j’en puis citer au moins trois d’importants à divers degrés, qui viennent de paraître presque ensemble : les Criminels, par le Dr Corre (Doin, éditeur, 1889), la Sociologia criminale, par Colajanni (Tropea, éditeur, Catania, 1889), et le livre de M. Joly que nous allons résumer.

Ces trois auteurs, très différents d’origine intellectuelle et de nature morale, deux médecins et un professeur de philosophie, le premier positiviste et disciple indépendant de Gall, le second socialiste, le troisième spiritualiste et chrétien, se ressemblent pourtant par le remarquable accord de leurs conclusions relativement à l’explication du crime qui, pour eux comme pour nous, est un produit monstrueux de la culture sociale, non une pousse ou un rejeton sauvage du sol naturel. Par eux en somme, avec plus de ménagements par le Dr Corre, avec plus d’âpreté et moins d’égards par M. Colajanni et M. Joly, le type criminel de Lombroso est battu en brèche, et les théories de l’École de Lyon sont confirmées dans une large mesure. Mais, l’espace nous faisant défaut, bornons-nous à parler du volume de M. Joly.

Cet auteur ne retient rien, après examen, du type criminel esquissé par Lombroso, si ce n’est ces deux remarques auxquelles il ne refuse pas une certaine valeur à savoir d’abord que, par leur physionomie, les deux sexes se rapprochent plus dans le monde du crime que dans le monde honnête ; et, en second lieu, qu’il existe une sorte de physionomie internationale des malfaiteurs, d’après plusieurs observations compétentes. — Il ne veut pas que l’atavisme ait rien à voir dans la genèse du crime. Il n’est pas vrai que le crime soit, à proprement parler, une anomalie parmi nous, ni qu’il ait été le fait normal chez nos ancêtres sauvages. Les idées morales, la distinction du juste et de l’injuste, du bien et du mal, ne sont pas une invention récente, comme quelques écrivains modernes l’ont rêvé ; leur très haute antiquité, historique et préhistorique même, est prouvée par la rigueur avec laquelle le vol, — celui des objets mobiliers, bien entendu, le seul possible à une époque d’indivision immobilière, — est puni chez les peuples primitifs, par la différence nettement reconnue chez les Australiens eux-mêmes, d’après Perron d’Arc, entre la vengeance juste et la vengeance injuste[1], par le commerce extérieur, international, auquel il est prouvé que se livraient déjà les hommes de la pierre polie ou éclatée, et qui eût été impossible sans le respect habituel des conventions, et par bien d’autres considérations aussi décisives. Elles eussent gagné cependant, je crois, à être complétées par deux autres : l’une tirée de l’erreur où l’on est tombé

  1. Jamais une exécution capitale, dans aucune tribu, n’a paru autoriser une vendetta contre les juges ou le bourreau, de la part des parents de l’exécuté.