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ANALYSES.carrau. Philosophie religieuse en Angleterre.

la critique a changé les points de vue, en soit, pour sa part, aussi peu dérangé dans son dogmatisme. Ce qu’il y a même peut-être de plus original dans l’ouvrage, ce sont les pages où l’auteur s’attaque résolument aux parties de la critique soit de Kant, soit de Hume, qu’on pouvait croire les plus définitives. Décidé à défendre vigoureusement tout l’héritage de la métaphysique religieuse, attendu qu’il n’est « ni prudent ni convenable, à qui croit dans son cœur, de s’exposer au fâcheux soupçon de scepticisme » et que, si les preuves ne sont pas inébranlables, le devoir est de les fortifier, non de les rendre encore plus fragiles », tout en se portant garant de la bonne foi de Hume et de ses sentiments religieux, il lui reproche d’être « trop délicat », trop exigeant en fait de preuves ; et, craignant quant à lui de jouer un jeu dangereux » en entrant dans la voie des concessions partielles, il prend jusqu’à la défense de l’argument ontologique. Non qu’il trouve le raisonnement tout à fait irréprochable, mais sur ce point même la preuve lui paraît encore plus forte que l’objection. Pour la défendre, il est vrai, il refuse d’y voir un raisonnement », ce qui est une façon indirecte de l’abandonner, car si jamais preuve affecta la rigueur logique et prétendit forcer la conviction, c’est celle-là. M. Carrau sauve donc moins cette preuve qu’il ne lui en substitue une autre. Voici comment.

D’abord, il néglige la forme donnée à la preuve par saint Anselme et l’idée de « l’être le plus grand possible » pour ne s’attacher avec Descartes qu’à l’idée de l’être parfait. Selon lui, « tout ce qu’on peut prétendre, c’est que l’idée du parfait n’existe pas dans l’esprit », et, de fait, il avoue que chez la plupart des hommes elle équivaut pratiquement à un néant d’idée. Mais « telle elle n’est pas chez Descartes et chez ceux qui véritablement rentrent en eux-mêmes. Elle veut être réfléchie, approfondie, dégagée et comme vivifiée par une pieuse méditation… ; elle a donc, selon la nature des âmes, des degrés de clarté, d’évidence, de perfection. Suit un passage remarquable, où l’auteur établit très bien que « telle idée, qui est vivante et rayonnante dans une intelligence, est inerte, vide et morte dans une autre, » et qu’en fait « elle n’existe vraiment que là où elle vit ». Mais « dans tout esprit qui la pense véritablement, en toute plénitude, l’idée du parfait est un fait réel et positif, » et dès lors cette idée « emporte l’existence de son objet, sans que, pour prouver cette existence, il soit besoin d’un raisonnement ». M. Carrau insiste très fortement à plusieurs reprises sur cette preuve, non logique selon lui, mais tout intuitive de l’existence de Dieu par la notion vive du parfait. C’est le point de doctrine auquel il tient le plus, et qui lui est en effet le plus personnel. Je ne connais d’analogue que le beau passage des Élévations dans lequel Bossuet s’écrie : « Pourquoi l’imparfait serait-il et le parfait ne serait-il pas ?… Pourquoi ce qui tient tant du néant serait-il et ce qui n’en tient rien du tout ne serait-il pas ?… O mon âme, pourquoi veux-tu être et que Dieu ne soit pas ? » Seulement, Bossuet, si je ne me trompe, ne prétend pas substituer au raisonnement l’intuition pure, ce qui est peut-être chimé-