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sur Bolingbroke, peut-être le plus historique de tous, et qui a pour des Français ce mérite particulier de retracer les origines anglaises du déisme de Voltaire. Il n’est que juste, d’ailleurs, de reconnaître que M. Carrau ne donne pas pour neuf ce qui ne l’est point et ne s’en fait pas accroire sur la puissance des penseurs de troisième ordre. Si par scrupule de justice il les expose un peu plus amplement qu’il n’était peut-être nécessaire, s’il leur fait l’honneur d’une discussion parfois un peu longue, au moins ne laisse-t-il à personne le soin de les caractériser exactement, et s’ils sont superficiels, ou vieillis, de le leur dire avec les formes. Il note on ne peut mieux, par exemple, que le sens historique de l’évolution a fait défaut au xviiie siècle aussi bien en France qu’en Angleterre. Il avoue que « l’Analogie (de Butler) ne répond guère aux préoccupations de la pensée contemporaine, qu’on y prend pour accordé ce qui pour beaucoup serait fort difficile à prouver… ; que ce livre un peu lourdement méthodique est moins œuvre de science que d’édification ; qu’il n’apporte pas grand secours aux convictions des uns et n’inquiétera que faiblement l’incrédulité des autres ». Ce qu’il a surtout bien remarqué, et ce qui reste l’impression dominante du lecteur, c’est que pour tous ces raisonneurs anglais, les évêques comme les autres, la religion est une affaire de tête, un objet de discussion logique, nullement, à ce qu’il semble, un profond besoin du cœur. Cela ne contribue pas peu à donner à toute cette dialectique quelque chose de sec et qui sent la scolastique. Que l’œuvre de l’historien lui-même en souffre quelque peu cela est injuste, mais inévitable. C’est injuste assurément, car on lit partout entre les lignes et plus d’une fois explicitement sa pensée propre, qui répugne au fond à cette logique à outrance appliquée à ce qui par essence est d’un autre ordre. Son devoir de critique était de suivre sur leur terrain les philosophes qu’il nous faisait connaître, et c’est, on le sent bien, par conscience plus que par goût qu’il entre parfois dans leur manière jusqu’à paraître renchérir sur eux-mêmes.

On n’en regrette pas moins deux choses : la première, qu’il n’ait pas mis plus expressément en relief, notamment dans sa conclusion, ce trait de la philosophie religieuse en Angleterre, je dirais presque, ce trait de la philosophie religieuse en général, entendue du moins au sens classique et quasi scolastique où il la prend ; — la seconde, qu’après avoir ainsi séparé sa cause, il n’ait pas pour son compte plus positivement fait place, dans l’indication trop discrète de sa propre conception religieuse, à ce sentiment de l’incompréhensible et de l’ineffable, dont l’absence donne l’air si pauvre et si froid en général, à la théologie, aussi bien rationnelle que révélée. En tant qu’il est historique, son livre l’eût paru davantage par ce soin de dégager le commun caractère des doctrines qu’il passait en revue ; et puisqu’il le voulait dogmatique autant au moins qu’historique, et que sa profession de foi personnelle en devenait dès lors le principal intérêt, plus complète et plus