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de langue qui lui font le plus grand honneur. Il peut se rassurer, personne dont le jugement compte ne l’accusera de tourner le dos à la science, dont il se montre informé aussi bien que personne, ni au progrès politique ou social, qui n’a rien à craindre des opinions métaphysiques, à plus forte raison de ces discussions parfaitement sereines et désintéressées, conduites dans l’esprit le plus libre.

Il n’en est pas moins vrai que les questions agitées sont un peu vieilles, étant éternelles, vieilles aussi pour la plupart, les solutions, les objections et les réponses. Ces réponses, dit encore M. Carrau lui-même, « ou bien elles sont faites depuis longtemps, ou bien il faut renoncer à les trouver jamais ». Le titre même de « philosophie religieuse » n’est pas sans avoir chez nous quelque chose de caractéristique et qui date ; il ne donne pas l’idée, assurément, de ce que M. Carrau a mis dans son ouvrage de science neuve, de critique pénétrante et vraiment personnelle, de vie enfin et, par là, de très vif intérêt.

L’intérêt est double, historique à la fois et dogmatique. L’ouvrage est une contribution importante à l’histoire de la philosophie anglaise, que l’auteur connaît à merveille ; on y trouve exposées de première main, avec une conscience minutieuse, toutes les doctrines un peu considérables qu’a produites ce pays en fait de théologie rationnelle, depuis Berkeley, Butler et Bolingbroke jusqu’à Stuart Mill et Herbert Spencer, en passant par Hume et Hamilton. Mais dans chaque chapitre et à propos de chaque doctrine, amplement, complaisamment, avec une prédilection marquée pour la critique de fond qui prend corps à corps les problèmes, l’auteur discute, apprécie, corrige, cherche pour son compte, donne loyalement sa propre pensée. C’est là surtout, selon nous, ce qui fait le haut prix de son livre. À beaucoup d’entre nous Butler et Bolingbroke sont fort indifférents ; tout le soin qu’on met à nous les exposer par le menu les empêchera difficilement de nous laisser froids. Même Berkeley et Hume, autrement intéressants, ne sont pas si mal connus, qu’on ne pût se passer à la rigueur d’un nouvel exposé de leur doctrine. De quel intérêt n’est pas, au contraire, l’effort passionné, vigoureux, profondément honnête, d’un esprit excellent et des plus distingués pour se satisfaire lui-même, pour dégager, asseoir ou défendre sa conviction sur le plus haut problème de la philosophie et de la vie !

I. — Historiquement, on peut trouver que le sujet eût gagné à être circonscrit de manière à offrir plus d’unité. Chacun sans doute est libre de s’assigner les limites qui lui conviennent : en histoire, cependant, les divisions ne sont pas tout à fait arbitraires ; il y a une distribution naturelle qu’on ne peut déranger notablement sans compromettre un peu son œuvre. Si grand cas, par exemple, que l’on fasse de M. Abbot, si bon gré même qu’on puisse savoir à M. Carrau de nous l’avoir fait connaître, on n’accordera pas facilement que la philosophie anglaise « peut bien revendiquer comme lui appartenant un penseur