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il connaît toute la valeur et dont il a lui-même appelé le retour dans l’enseignement[1]. Une philosophie entièrement finaliste aurait un peu surpris les élèves, mais cela même est une source d’intérêt et puis ils y auraient trouvé, à notre avis, bien plus de lumière. M. Boirac en a jugé autrement. Aussi, tout en déclarant contre M. Janet que la finalité, s’il y en a, est partout, qu’il faut la définir avec M. Lachelier « la détermination des parties d’un tout par l’idée du tout », que « l’univers est une idée qui se réalise » (p. 118, 119, 120), M. Boirac accorde-t-il que l’expérience s’accommode mal au principe des causes finales et laisse-t-il à celui des causes efficientes tout l’appareil du premier rôle (p. 111 ; 115-116 ; 312, note ; 409). Mais il s’ensuit que, sur une foule de points, les élèves, à qui l’on épargne, il est vrai, le travail d’une réflexion complexe, ne rencontrent pas les réponses satisfaisantes que le système comportait. Au lieu de les mettre, sans le leur expliquer, en présence d’un objet, cause de nos sensations (p. 46 ; 421), il aurait été possible de leur faire voir que nous ne saurions nous comprendre nous-mêmes que comme des parties dans un tout. Au lieu de laisser un peu dans le vague le problème des jugements synthétiques (p. 94-95 ; 202) et de ne rien faire pour empêcher que les jeunes esprits s’abandonnent à cette illusion que l’expérience fonde et justifie les synthèses, comme si pour le leibnizianisme l’expérience pouvait être autre chose qu’un moment de la raison, on leur aurait fait concevoir que l’attribut nouveau est appelé par ceux qui sont posés déjà, parce que l’ensemble de ceux-ci se présente comme quelque chose d’incomplet qui réclame un complément : en deux mots, toujours les mêmes, comme une partie d’un tout. La théorie du syllogisme aurait aussi beaucoup gagné à se rattacher aux principes. Telle que l’auteur la donne (p. 214-216 ; 222-221), elle est toute proche de l’empirisme : car la convenance des deux extrêmes avec le moyen ne reçoit aucune interprétation rationnelle et la plus évidemment empirique des formules de Stuart Mill est acceptée, savoir que deux choses qui coexistent avec une troisième coexistent entre elles. Ne pouvait-on expliquer aux élèves que le syllogisme est une opération régressive par laquelle on retrouve, dans ce tout compréhensif qu’est une espèce, une de ses parties, c’est-à-dire un genre ? Et pour arriver à la question où, tout naturellement, on souhaite le plus une réponse leibnizienne, pourquoi ne pas rendre compte de l’harmonie préétablie en disant, au lieu d’affirmer en termes trop généraux l’homogénéité des choses (p. 161), que chaque chose, fait ou monade, est une partie du Tout et ne s’explique que par lui ? Nous croyons que tout cela ne dépasse pas l’intelligence de jeunes gens de dix-huit ans. M. Boirac s’est décidément trop défié d’eux. Veut-on une dernière marque de cette défiance ? À la fin de son résumé, d’ailleurs très utile, de l’histoire de la philosophie, il ne dit pas un mot de la Critique du Jugement ; et pourtant, quoi de plus attendu de la part

  1. Revue de l’Enseignement second. et de l’Ens. sup., 1er juin 1885.