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ANALYSES.e. beaussire. Les Principes du Droit.

suranné, par exemple sur le droit de tester, sur la prescription, sur la propriété des associations et ses restrictions nécessaires. Les quinze pages dans lesquelles M. Beaussire pose et résout philosophiquement cette dernière question (la question si complexe et si passionnante de la propriété collective, de la mainmorte, des limites à apporter, au nom de l’intérêt général, à l’accaparement des biens par les corporations) sont véritablement remarquables. Elles sont d’une lucidité, d’une ampleur, d’un mouvement, qui, plus d’une fois, sans y viser, vont jusqu’à l’éloquence. Ce ne sont plus seulement les élèves en droit et en philosophie, ce sont les hommes d’État et les législateurs qu’on voudrait voir méditer ces pages. Dans ses autres ouvrages, je m’étais demandé quelquefois si l’amour de la liberté, « de la liberté des autres », ce sentiment généreux qui fait le fond du vrai libéralisme et qui domine tout chez M. Beaussire, n’allait pas jusqu’à le rendre peut-être trop peu vigilant à l’égard des risques que le droit de quelques-uns, bruyamment revendiqué, peut faire courir aux droits de tous. Cette fois, sur une question délicate entre toutes, je ne puis que me déclarer entièrement satisfait de la manière dont il proclame, contre la prétention des corporations, quelles qu’elles soient, à immobiliser pour jamais dans leurs mains les propriétés justement acquises, le droit supérieur de la grande communauté à les maintenir ou à les remettre, dans une mesure et sous des conditions juridiques à fixer, dans la circulation générale, conformément à l’essence de la propriété. Car c’est de la propriété individuelle que la propriété collective provient, d’une manière que l’auteur analyse très nettement en en faisant voir à la fois la légitimé et les dangers. La propriété d’une association n’est un droit qu’autant qu’elle dérive de la propriété individuelle ; mais si, en même temps qu’elle en dérive, elle l’altère dans sa nature au point de lui faire perdre précisément une partie de ce qui la rendait légitime, n’est-il pas clair qu’au nom même du droit des individus et au nom du bien public, la propriété collective devra être soumise à des règles spéciales, à d’expresses restrictions ?

Non moins actuelles sont les questions traitées dans les deux derniers chapitres. Au sujet de l’honneur et de sa protection légale, on peut trouver que M. Beaussire se donne une peine assez inutile pour assimiler l’honneur à la propriété ; une telle assimilation, factice, en somme, et sans intérêt, n’ajoute rien au prix de l’honneur même, devant l’opinion la moins raffinée. Mais il ne veut qu’expliquer comment un bien d’une nature aussi élevée, impondérable s’il en fut, peut faire parfois l’objet d’une évaluation matérielle et donner lieu à des « dommages et intérêts ». La liberté religieuse, la liberté de la presse, des théâtres, du commerce, du travail, la liberté d’association, sont autant de questions sur lesquelles on souhaiterait plus de développements, mais cela précisément parce qu’il semble impossible d’apporter à leur examen un esprit plus philosophique à la fois et plus pratique, que ne le fait M. Beaussire, plus vraiment juridique et plus parfaitement libéral. Jamais