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l’arbitrage ne serait pas une chimère ; comment il devrait être établi d’abord entre les peuples qui en acceptent l’idée et que ne divise ni le souvenir trop récent ni la perspective de grands conflits ; quel système de sanction pouvait être conçu qui ne fût pas tout à fait inefficace, c’est ce que des philosophes et des juristes ont essayé de dire, dans des ouvrages que M. Beaussire connaît et qu’il cite, et dont on serait heureux de trouver chez lui la substance.

Dans l’étude du droit privé, il va de la famille à l’individu. La raison qu’il en donne est excellente. « Cet ordre, dit-il, n’est pas seulement le plus commode pour l’exposition, qui est toujours plus simple et plus claire quand on descend du général au particulier » ; c’est l’ordre même de la nature. L’humanité, dans son évolution naturelle, n’est pas allée des droits de l’individu à ceux de la société… Rien ne prouve que la famille ait été l’embryon de la tribu ; tout porte à croire, au contraire, que la tribu avait déjà reçu un commencement d’organisation quand les rapports des sexes n’étaient pas encore sortis de l’état de promiscuité… Les droits purement individuels, dans leur indépendance à l’égard de la famille et de l’État, ont un caractère tout moderne ; quelques-uns même, la liberté de la conscience, de la pensée, de l’enseignement, de la presse, n’ont été reconnus que de nos jours, et ne le sont pas encore dans tous les États civilisés. Il n’est pas vrai que la liberté soit plus ancienne que le despotisme. Elle est ce qu’il y a de plus nouveau et même, aujourd’hui encore, de plus contesté. »

Le chapitre sur la famille pourrait bien être le meilleur de tout l’ouvrage : la pensée y est nette et alerte à plaisir, le style vif dans sa gravité, souple, délicat et concis. Tel je le trouve notamment dans la page si pleine de sens, si bienvenue, où l’auteur établit cette vérité, à première vue paradoxale, que « le mariage n’est pas un contrat ». Peut-être n’est-il pas autant qu’il le dit dans l’essence morale du contrat de laisser libres les contractants et de pouvoir toujours être résilié ; mais il est impossible de dire mieux et plus fortement que, dans le mariage, si la liberté est au début, elle se lie comme dans nul autre contrat, les obligations qu’elle accepte une fois pour toutes résultant de la nature des choses et s’enchaînant d’une façon qui ne laisse plus aucune place à l’arbitraire. Sur la puissance maritale, son fondement et ses limites, sur les empêchements au mariage, sur le divorce, foncièrement immoral, mais qui « peut entrer dans le droit comme la permission légale d’un mal en vue d’en éviter un plus grand », sur le mariage des prêtres, la séparation de corps, les droits des enfants, etc., M. Beaussire est aussi bien inspiré. On ne peut tracer d’une main plus ferme à la fois et plus délicate les rapports du moral et du légal.

Après la famille, la propriété. C’est beaucoup, peut-être, d’y consacrer deux grands chapitres ; mais un des deux traite de la propriété intellectuelle, déjà par conséquent de l’un des plus élevés entre les droits de l’individu ; et celui même qui traite de la propriété matérielle est singulièrement relevé et rajeuni par des discussions qui n’ont rien de