Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
ANALYSES.e. beaussire. Les Principes du Droit.

premier, avec son caractère rationnel, demeure, en somme, indépendant du second et supérieur : car enfin le droit naturel, c’est le droit tout court, et le droit positif, c’est le fait. Or le droit a beau n’être garanti qu’autant qu’il est traduit dans les faits, il est tout de même d’un autre ordre ; c’est pourquoi les lois ne peuvent pas tout proscrire, et tout ce qui est légal n’est pas juste.

À mon vif regret, je ne puis suivre M. Beaussire pied à pied dans tout son ouvrage. Le second et le troisième livre traitent l’un du droit public, l’autre du droit privé. Si inséparables que soient, en effet, les droits de l’État et ceux des particuliers, puisque, dans ce qu’ils ont de général, ils se déterminent et se limitent mutuellement, ce sont évidemment choses distinctes et à étudier successivement. M. Beaussire les prend tour à tour, et tout en visant surtout à tracer fermement les grandes lignes, ne laisse pas de descendre dans un détail où l’on aimerait à le suivre, car là est le plus vif intérêt de son livre.

Il commence par le droit public, et n’y consacre pas moins de cinq grands chapitres : Théorie générale de l’État et principes du droit politique ; — principes du droit civil dans ses rapports avec le droit public ; principes du droit pénal ; — les services publics ; — principes du droit des gens. On imagine difficilement une façon plus sage à la fois et plus parfaitement libérale, plus prudente et plus large d’envisager toutes ces hautes questions. J’aurais aimé, toutefois, un peu moins de réserve dans le chapitre du droit des gens, dont certaines parties semblent trop maigres, sans doute parce qu’elles sont excellentes. Je pense que c’est à ces parties que fait allusion M. Beaussire, quand il avoue dans sa préface avoir négligé de parti pris certaines questions dont la discussion « dans l’état actuel de la civilisation européenne » lui a paru oiseuse. Il est certain que, au moment où il écrivait, il n’était que trop permis à un philosophe de sentir quelque découragement : l’avenir du droit international était, il est encore bien sombre ; on craint de se montrer plus naïf qu’on ne l’est, peut-être même de risquer d’endormir la vigilance nationale plus que jamais nécessaire, en insistant complaisamment sur un idéal en apparence bien suranné, en rêvant sérieusement de voir s’établir entre les peuples des relations de justice et de paix. Cependant, ce rêve sera toujours à sa place dans un traité du droit naturel ; et M. Beaussire n’a eu garde d’y renoncer. Ce qu’on souhaiterait, c’est qu’il eût donné plus de développement à l’étude d’une question, actuelle entre toutes, quoi qu’il en dise, et que personne ne connaît mieux que lui. Oui, actuelle entre toutes ; car l’excès du mal réveille le désir du mieux ; et l’idée de l’arbitrage entre nations, c’est-à-dire d’un retour à la raison et à la vérité morale, a peut-être, il le sait bien, gagné plus de terrain depuis un an dans l’Europe ruinée par des armements fantastiques, menacée d’une conflagration comme l’histoire n’en a pas encore vu, qu’elle n’avait fait dans les années précédentes, quand l’état de guerre était plus latent. À quelles conditions