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par lui-même remplir tous ses devoirs, il n’a que le droit de les remplir en paix ; mais dès qu’il ne peut entièrement se suffire à lui-même, une assistance lui est due, non pour lui personnellement, mais pour la loi qui le gouverne et dont tous les hommes sont les sujets et les ministres. L’homme est ainsi fait, qu’il ne peut se passer d’autrui. Nous ne possédons presque rien que nous ne devions qu’à nous-mêmes : nos idées, son sentiments, tout le bien-être dont-il nous est donné de jouir, doivent plus ou moins à nos efforts personnels, mais combien plus encore à nos relations avec les autres hommes et au travail de toutes les générations qui nous ont précédés ! Si vous niez le droit d’autrui à recevoir quelque chose de vous, commencez par restituer ces avantages, que vous tenez de vos semblables… Nous sommes tous débiteurs de l’humanité, qui ne peut accomplir sa loi sans le concours mutuel que se prêtent tous les hommes. Comme garantie de leurs devoirs, ils ont d’autres droits à revendiquer qu’un respect négatif et stérile. »

Le IIIe et dernier chapitre de ce même livre est très serré ; il traite, en quelques pages fort denses, des rapports du droit naturel avec le droit positif. La limite de mon droit n’est déterminée exactement ni par mon droit lui-même, ni par celui des autres, qui ne l’est pas plus que le mien, ni par le devoir, puisque tout ce qui est contraire à mes devoirs n’est pas pour cela en dehors de mes droits. Sous peine de rester indéterminé, c’est-à-dire sans garantie à son tour, le droit doit pourtant prendre corps : étant par essence la mesure précise de liberté et d’avantages que tous sont tenus de laisser à chacun, il n’est réel à un moment donné qu’autant qu’il est fixé et peut être sûrement connu. Il s’ensuit qu’en fait, « il varie naturellement suivant les temps, les pays, la civilisation et la moralité de chaque peuple ; car il dépend de la portion de liberté qui peut être laissée aux individus sans péril pour leur sécurité réciproque… Une décision générale connue et acceptée d’avance de ceux dont elle fixe les droits, voilà pour les droits eux-mêmes la première et la plus indispensable garantie… Si le droit, en d’autres termes, a sa source dans la nature, il ne trouve sa détermination et sa sanction efficace que dans une société constituée », dans des lois, des tribunaux, une force publique, en un mot, dans l’existence de l’État et toutes les formes du droit positif. À l’État il appartient de me garantir par une bonne police mon droit à la sécurité et au respect, et c’est seulement quand il ne le peut qu’a lieu le cas de légitime défense. À l’État aussi de déterminer le droit de chacun à l’assistance de tous, et d’y faire, au moyen de l’impôt, participer équitablement tous les membres de la société. L’État n’est que trop enclin, d’ailleurs, à tout régler, à intervenir en tout par la contrainte. M. Beaussire, qui signale lui-même cette tendance et qui réagira contre elle à vingt reprises, aurait pu, je crois, se rendre la tâche moins malaisée en identifiant moins complètement qu’il ne paraît le faire dans ce chapitre le droit naturel et le droit positif, en marquant mieux combien le