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ANALYSES.e. beaussire. Les Principes du Droit.

lité, quoiqu’elle soit une condition du droit, ni la liberté seule, quoiqu’elle en soit le principal contenu », ni même la dignité de la personne humaine. Le fondement du droit, c’est le devoir. L’auteur, il est vrai, avait commencé par le nier, de peur qu’on ne l’entendit mal et qu’on ne voulût refuser le bénéfice du droit à ceux qui ne font pas tout leur devoir ; mais « si le droit, par définition, est, chez celui que le possède, un titre pour imposer à autrui certains devoirs, quel autre titre que ses propres devoirs une personne peut-elle avoir pour empiéter sur la liberté d’une autre personne, son égale dans l’ordre moral ? Si on nous doit quelque chose, c’est à nos devoirs qu’on le doit… La loi morale implique des garanties générales qu’elle doit assurer à chacun de ses sujets et que par conséquent ils doivent s’assurer entre eux… C’est dans ces garanties que consistent proprement les droits de l’homme ; ils embrassent tout ce que chacun a besoin de faire et de posséder pour accomplir librement la loi morale… La raison du droit, c’est l’intérêt moral, c’est la garantie du devoir. » Il peut « aller jusqu’à l’abus, dans une mesure à déterminer », parce que le devoir, dont il est la condition et la garantie, implique une large liberté ; mais s’il n’est pas étroitement réglé, il est toujours « consacré par le devoir » et ne peut l’être que par lui.

Pour la division des droits, M. Beaussire préfère, à la division classique en droits parfaits et droits imparfaits, celle qui pose en face du droit au respect le droit à l’assistance. « Le premier consacre notre personne, c’est-à-dire notre vie, notre liberté, notre honneur, il consacre aussi notre propriété, c’est-à-dire les choses que nous possédons légitimement et qui, par leur union avec notre personne, participent à son inviolabilité. Les objets auxquels s’applique le second sont ceux qui nous sont dus dans l’intérêt de nos devoirs, pour nous aider à les accomplir. » Le droit à l’assistance, on le sait, est nié énergiquement même par des moralistes qui proclament le devoir d’assistance. Ils craignent l’excès des exigences et l’audace sans mesure des revendications. M. Beaussire est d’autant plus à louer pour le ferme sang-froid avec lequel il envisage la question, et pour l’entrain éloquent qu’il met à soutenir ce droit décrié. Les exemples qu’il prend sont de valeur inégale : peut-être n’y a-t-il pas grand chose à tirer du commun instinct qui prête au bienfaiteur un droit à la reconnaissance de l’obligé, car il n’est pas prouvé que le mot droit ici soit pris au sens fort. En revanche, « les parents tombés dans le dénuement ont droit sans contredit à l’assistance de leurs enfants », et voilà qui suffirait à établir qu’il existe un droit à l’assistance. Droit moins déterminé que le droit au respect et qui suppose des devoirs moins précis, qui n’implique pas, surtout, et ne saurait justifier a priori le recours à la force ; mais droit qu’il faut proclamer, parce que ni les particuliers ni l’État ne le méconnaîtraient sans manquer à d’impérieux devoirs. Nous devons à la loi morale non seulement de n’en pas troubler l’accomplissement, mais de le faciliter, autant qu’il dépend de nous. Tant qu’un homme peut