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naturel « pénètre dans la morale », il s’en distingue profondément en ce qu’il est indépendant du bien et de la vertu, objets essentiels de la morale. « Non seulement, dit-il, la morale ne révèle pas le droit, mais les considérations qui lui sont propres peuvent obscurcir ou fausser le sentiment du droit… Lorsqu’on apporte dans l’étude du droit des préoccupations toutes morales, il en résulte une tendance à chercher dans le bien seul la condition du droit, à n’admettre que la liberté du bien, à repousser avec horreur la liberté du mal… Or il faut mettre le droit à l’abri de ces assauts qui lui sont livrés au nom de la morale et qui sont souvent d’autant plus dangereux qu’ils sont l’effet des sentiments les plus respectables. » Rien de mieux ; mais cela revient à dire que le droit n’est qu’une partie de la morale, et non qu’il est toute autre chose. De ce qu’au-dessus des devoirs de justice, il y a les devoirs de perfection ; de ce qu’on doit être juste même envers des gens très imparfaits, et respecter la liberté même chez ceux qui en usent mal, pourvu qu’en manquant à leurs devoirs ils ne violent pas les droits d’autrui, — sen- suit-il que le droit ne rentre pas tout entier dans la morale ? Elle le déborde, mais elle l’embrasse. Il en est la partie la plus positive, la plus scientifique, si l’on veut ; mais pourquoi vouloir à tout prix en faire quelque chose d’autre, « une science à part » ? Quels éléments entre-t-il donc dans cette science, qui ne soient essentiellement moraux ? M. Beaussire définit les droits des individus « leurs titres généraux et permanents pour obtenir certains devoirs ». Si je comprends bien cette formule (qui n’est pas des plus heureuses par la forme, et qui, vu son importance, eût mérité peut-être un soin plus attentif de la part d’un écrivain ordinairement si châtié), elle veut dire que le droit n’est autre chose que le caractère sacré des personnes libres, ce qui les rend inviolables les unes aux autres et les oblige mutuellement dans leurs rapports entre elles. Mais personnalité, liberté, respect (respect dû à la personne libre uniquement, comme le dit Kant, parce qu’elle est responsable et sujette du devoir), si ce n’est pas là toute la morale, c’en est à coup sûr une partie.

On dit : « La morale ne révèle pas le droit. » Je l’accorde, en ce sens que la morale, n’étant rien en dehors des notions du devoir et du droit, n’y préexiste point et par suite n’a pas à les révéler ; je l’accorde encore en ce sens, que le droit révèle le devoir plus souvent peut-être et plus clairement que le devoir le droit ; mais si l’on voulait dire que la morale ne comprend pas l’étude du droit et que celle-ci ne tire pas de celle-là toute sa lumière, je ne pourrais ni souscrire à une telle proposition, ni surtout voir comment elle se concilie avec la doctrine de M. Beaussire. À vouloir prouver trop il n’y a jamais d’avantages.

La théorie générale du droit, qui occupe le premier livre, tient en trois chapitres : Fondement du droit ; Division du droit ; Le droit naturel et le droit positif. — Le fondement du droit n’est ni l’utilité particulière, ni le besoin individuel, ni l’intérêt social, ni l’ordre de fait établi de temps immémorial dans les sociétés humaines ; ce n’est ni l’éga-