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ANALYSES.e. beaussire. Les Principes du Droit.

habitués à penser et à se gouverner par principes dans toutes les affaires de la vie ; et j’ai toujours éprouvé que l’étude approfondie des choses de la morale, était au premier rang parmi celles qui sont propres à exercer « l’esprit de finesse. » J’envisagerais sans une ombre de crainte pour l’esprit et le caractère français, le cas où la métaphysique et la discussion des systèmes, renvoyées en partie à l’enseignement supérieur, ou simplement réduites dans la pratique à une place plus mesurée, ainsi que le programme le permet, laisseraient aux professeurs le temps de méditer à loisir et d’élucider avec leurs élèves les questions agitées dans le livre de M. Beaussire. Il y aurait là de quoi exercer autant qu’il convient leurs aptitudes dialectiques, sans les ennuyer ni risquer de leur faire aucun mal. Ils s’en trouveraient bien, au contraire, et comme élèves et surtout dans la suite : la classe de philosophie serait plus vivante qu’elle ne l’est, et le fruit qu’on en retire moins douteux. Cela, toutefois, à une condition : c’est que le professeur, aimant lui-même ces questions et s’y étant fait une opinion ferme (chose d’ailleurs plus facile qu’en métaphysique), y appliquât la méthode convenable, les fit discuter par les élèves, au lieu d’en faire matière à leçons dogmatiques, mais dirigeât ces libres discussions avec autant de gravité et de sûreté que de souplesse, pour les empêcher de dégénérer en jeu et de tomber dans la sophistique.

L’ouvrage de M. Beaussire comprend, après une introduction qui a pour objet de déterminer la nature et les bornes du droit naturel, trois livres, qui traitent : le premier, de la théorie générale du droit ; le second, du droit public, et le troisième, du droit privé. Donnons un aperçu de cet imposant ensemble, en notant çà et là les points qui nous ont le plus intéressé, mais sans entreprendre sur aucun une discussion explicite, qui ne pourrait être un peu serrée sans demander à elle seule plus de place que nous n’en avons.

Dans l’introduction, l’auteur examine d’abord la conception de l’état de nature et celle du contrat social ; il détermine l’objet et les divisions de la sociologie, et dégage l’idée du droit naturel, en distinguant avec soin, de l’étude des phénomènes sociaux tels qu’ils s’offrent, celle des relations sociales telles qu’elles devraient être. Entre le droit naturel et la politique il trace sans trop de peine une ligne de démarcation, qui reste nette encore entre le droit et l’économie politique, malgré des questions communes, comme celle de la propriété, mais qui l’est beaucoup moins entre le droit naturel et la morale. Là, pour le dire franchement, M. Beaussire me paraît se donner une peine assez inutile pour trouver une différence radicale où il n’y en a vraiment pas de telle, et voir deux sciences » distinctes où il n’y a que deux branches d’une même science. Peine inutile ? non peut-être tout à fait ; car ce qu’il veut dire est très juste et importe infiniment dans la pratique. Son idée est qu’il faut distinguer avec Kant les devoirs de droit et les devoirs de vertu et que si, par les premiers, qui font son objet propre, le droit