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ANALYSES.e. beaussire. Les Principes du Droit.

M. Beaussire s’est fait un autre devoir de franchise d’avertir que l’ouvrage qu’il publie aujourd’hui renferme trois chapitres retranchés de son livre sur la Liberté dans l’ordre intellectuel et moral, et un chapitre de sa thèse, depuis longtemps épuisée, sur le Fondement de l’obligation morale. Comment ne pas applaudir à cet exemple de probité littéraire ? On est si mal impressionné quand on découvre qu’un auteur a, sans le dire, fait de ces aménagements dans son œuvre, transporté dans un nouvel ouvrage des pièces qui lui ont déjà servi dans un autre ! Et pourtant, dans ce cas particulier, les emprunts étaient si naturels, ils ont été d’ailleurs l’objet d’un remaniement si complet, qu’on regretterait presque, comme excessif, le scrupule délicat auquel M. Beaussire a obéi. On a peur que quelque lecteur superficiel, en lisant dans la préface cette déclaration, rapprochée de la précédente, ne se figure connaître assez l’ouvrage et n’avoir rien de neuf à en attendre. Voilà qui serait fâcheux, car rien ne serait plus injuste et plus faux. M. Beaussire, sans doute, est resté lui-même dans cet ouvrage : un esprit mûr et consistant ne se change pas pour étonner ses lecteurs ; et c’est justement parce que, de sa part, cela allait de soi, qu’il eût pu se dispenser de nous le dire. Mais en restant lui-même, il s’est singulièrement renouvelé : sur les principes moraux qu’on lui connaît, il a édifié une théorie du droit parfaitement élaborée et remarquablement solide, neuve en cela même, plus neuve encore par la discussion, lumineuse à la fois et subtile, approfondie, complète, magistrale, de nos droits les plus essentiels.

Un tel travail est si utile, à mes yeux, que je ne sais si la philosophie française en a beaucoup produit depuis longtemps d’une valeur aussi réelle, dont l’importance pratique soit aussi grande, et le succès autant à souhaiter. Parler aux hommes de leurs droits avec cette force et cette précision, c’est à la fois les entretenir de ce qu’ils ont le plus à cœur et prendre le meilleur biais pour leur faire entendre sur leurs devoirs les vérités les plus hautes. On répète souvent aujourd’hui que la grande affaire, dans la crise morale que nous traversons, serait de ramener les gens au sentiment de leurs devoirs, sans leur parler tant de leurs droits, dont ils ne sont que trop pénétrés ; mais c’est là une grande naïveté. Le droit et le devoir sont deux faces d’une même chose, la justice dans les relations sociales. Le droit en est la face agréable à regarder, le devoir en est la face austère. À quoi bon s’efforcer et comment se flatter de faire aimer la justice, en la présentant uniquement sous son aspect rébarbatif ? La voie inverse est plus pratique et plus sûre. Chacun prête l’oreille volontiers à ce qu’on lui apprend de ses droits ; mais comme mes droits sont aussi les vôtres, et que vos droits font mes devoirs envers vous, il est impossible, en fait, de bien comprendre le droit sans devenir par cela même plus familier avec le devoir. Écrire sur le droit, après avoir écrit sur le devoir, c’est présenter les questions de morale sous un autre jour, plus clair pour le commun des hommes, ce qui oblige d’autant plus à être précis et