Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
274
revue philosophique

le consensus des bonnes volontés ne fût point subordonné à l’unité de croyances métaphysiques, unité qu’on ose de moins en moins espérer ! M. Beaussire est de ceux qui voient « dans les idées métaphysiques et religieuses, non le fondement, mais le couronnement des idées morales ». Raison de plus pour élaborer sa doctrine du droit sans autre souci que de la rendre inébranlable, indépendamment du couronnement dogmatique qu’elle peut d’ailleurs comporter. C’est bien, au fond, ce qu’il a voulu, mais non sans « affirmer hautement, toutes les fois que l’occasion s’en est présentée, ses convictions spiritualistes ». Or, cela était-il bien nécessaire ? Ces convictions de l’auteur, qui ne les connaît, et qui en doute ? Affirmées une fois de plus, elles ne convertiront pas ceux qui ne les partagent point, et ne donneront à ceux qui les partagent qu’une satisfaction assez inutile.

« Convictions spiritualistes », est-ce là d’ailleurs une expression en elle-même parfaitement déterminée ? Il y a plus d’une manière de l’entendre. Le droit, comme le devoir, est chose spirituelle : croire au droit, c’est croire à un idéal ; mais, est-il besoin pour cela de souscrire à une profession de foi sur l’âme, sa nature et sa destinée, sur la cause et la fin de toutes choses ? Et s’il n’est pas besoin, pour admettre, pour sentir vivement le droit, d’avoir son siège fait sur tous les problèmes métaphysiques, pourquoi risquer de décourager les agnostiques, en leur donnant à penser que notre théorie du droit n’est pas faite pour qui ne serait pas acquis à tout notre credo ? De plus en plus, pour mon compte, les professions de foi métaphysique m’apparaissent comme l’intime secret des consciences, la grande affaire d’un chacun, sans doute, mais une affaire où nul ne peut penser pour d’autres : c’est pourquoi, à mon sens, on ne saurait en être trop sobre. Il y a comme un léger manque de discrétion à les multiplier plus qu’il n’est strictement nécessaire. Même celles auxquelles je serais le plus près d’adhérer me gênent un peu, comme ces confidences trop intimes qu’on reçoit sans les avoir provoquées. Je me dis aussi tout bas que l’exemple qu’on donne en imprimant où elle n’a que faire une profession de foi qui m’agrée, d’autres s’en autorisent pour remplir sans rime ni raison leurs ouvrages des déclarations inverses, si vulgaires et si déplaisantes à rencontrer. M. Beaussire m’excusera de faire ces remarques à propos de lui ; mais quelle meilleure occasion pourrais-je prendre, qu’un livre qui ne souffre d’ailleurs aucunement du léger travers que je signale, œuvre d’un maître qui, par caractère et par situation, est l’homme du monde le moins suspect de vouloir faire sa cour à quelqu’un. La critique malicieuse, en effet, a pu quelquefois reprocher à d’autres d’abuser des professions de foi pour avancer leurs affaires. On ne craint pas, avec lui, de paraître donner dans ces grosses et injurieuses insinuations, qui seraient simplement ridicules. Chacun sait qu’il ne demande ni n’attend rien de personne, qu’il ne cherche à contenter que lui-même, et que, s’il était homme à dépasser d’un iota sa pensée, ce serait dans le sens des causes vaincues.