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Ces deux points de vue de la métaphysique deviennent des hypostases et des personnes en théologie. De part et d’autre, Dieu s’engendre lui-même, puisqu’il est Dieu en tant que Fils, tout aussi bien qu’en tant que Père.

Non seulement cette doctrine a de l’analogie avec les mystères théologiques ; mais il est littéralement vrai qu’elle se rattache au dogme de la Trinité ; et Descartes lui-même ne méconnaissait pas ce rapport, car il y fait allusion : « De même, dit-il, que les théologiens ont dit que le Père est le principe du Fils, sans dire cependant que le Fils soit principié ; de même, je dis que Dieu est cause de lui-même sans aller jusqu’à dire que Dieu est l’effet de lui-même ; car l’effet est moins noble que la cause… Et quoiqu’encore les théologiens craignent d’employer le mot cause dans la procession des personnes de la Trinité, et préfèrent le mot principe, ce n’est pas une raison de craindre tant le mot de cause quand il s’agit de Dieu à l’égard de lui-même ; car il n’y a pas à craindre que l’on suppose qu’il est moindre que lui-même, comme on pourrait le supposer des personnes de la Trinité. »

Descartes conclut de là qu’il a pu attribuer à Dieu la dignité d’être la cause sans qu’on puisse inférer de là qu’il lui ait attribué aussi « l’imperfection d’être effet ». On voit ici encore une autre incompréhensibilité, à savoir une cause sans effet, et cependant on ne pourrait attribuer à Dieu la qualité d’être effet à l’égard de lui-même sans tomber dans la doctrine alexandrine de la procession, c’est-à-dire de la chute des divers états divins, et de l’inégalité des hypostases, doctrine que le christianisme avait répudiée. Ainsi Descartes, sans vouloir toucher au mystère de la Trinité, s’en est évidemment inspiré ; et ce n’est pas une exagération de dire que la doctrine de Dieu causa sui est un mystère.

La doctrine mystagogique de l’infinie et incompréhensible puissance de Dieu conduit Descartes à une autre doctrine qui ne contredit pas moins, en apparence du moins, les exigences de la raison et qui ne peut être non plus appelée autrement qu’un mystère philosophique.

C’est la doctrine de la création des vérités éternelles.

D’après tous les philosophes, les vérités éternelles et nécessaires sont fondées en Dieu ; mais, dans l’opinion généralement admise, et qui paraît le plus conforme à la raison, les vérités éternelles résident dans l’intelligence divine, et elles ont pour fondement l’essence divine elle-même ; elles sont donc immuables et éternelles comme cette essence. Mais Descartes ne se contente pas de dire que les vérités éternelles sont fondées sur l’essence de Dieu. Il veut les lui subor-