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REGNAUD. — l’évolution phonétique du langage

ment rare encore, et on le voit dans le sanscrit des époques postérieures se substituer souvent à un ancien r dont témoigne le Rig-véda. Même phénomène de propagation du l en Égypte. En Chine, il a fini par supplanter complètement son antécédent r.

Le défaut de prononciation analogue qui consiste à faire entendre t pour k est très probablement le point de départ des nombreux changements du même genre qu’on constate dans les langues indo-européennes et particulièrement en grec où, comme on le sait, plusieurs racines ont une double forme caractérisée par l’alternative d’une finale gutturale et d’une finale dentale (σφαγ et σφαδ, dans σφαγή et σφάζω).

Enfin le zézaiement à sa première étape est évidemment l’origine de la transformation en sifflante de l’ancienne gutturale dans les mots comme citoyen, cimetière, etc.

Les palatales ou chuintantes (ch) dérivent de leur côté, en sanscrit, en allemand, en français, etc., des gutturales ; et ici encore ce sont bien sûrement des défauts de prononciation individuels qui ont été le point de départ de la transformation.

D’ailleurs, de même qu’un état particulier des organes de la voix a eu pour effet la création de nouveaux sons, il a eu pour conséquence inverse la perte de sons anciens. On a vu qu’en Chine le lambdacisme avait fini par triompher du r, et le même fait se manifesterait depuis longtemps dans nos langues, si les lois phonétiques étaient absolues pour d’autres que ceux chez qui elles prennent naissance. Mais les anciennes aspirées indo-européennes ont été moins favorisées que la vibrante ; elles étaient déjà presque complètement perdues en latin, et les langues romanes n’en conservent pour ainsi dire plus de traces.

Un grand nombre de variations phonétiques n’ont donc, à en juger par des faits bien constatés, d’autre raison d’être qu’une particularité de la prononciation de tel ou tel individu occasionnée par la disposition spéciale de son appareil vocal ; et nous ne croyons pas faire abus de l’analogie en posant en fait que, jusqu’à preuve contraire, on est autorisé à les rapporter toutes à cette même cause[1].

II

Maintenant et en considérant ce point comme acquis, nous

  1. Si l’on objecte qu’on ne voit plus de nos jours de créations phonétiques, la raison en est facile à donner : la fixation absolue des sons de chaque mot par l’éducation grammaticale a rendu à peu près impossible la brusque substitution d’un son nouveau à un son déjà existant.