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tumes phonétiques comme de toutes les autres ; non seulement elles laissent subsister plus ou moins longtemps à côté d’elles des usages auxquels elles tendent à se substituer, mais le champ qu’elles embrassent est sans limites bien fixes et renferme souvent des îlots où elles n’ont pas pénétré : autant de causes pour que l’ancienne prononciation persiste dans une plus ou moins grande mesure et durant un espace de temps plus ou moins long auprès de l’ancienne.

Objectera-t-on que la transition d’un son ancien à un son nouveau s’est effectuée, comme le disent les néo-grammairiens et comme le répète avec eux M. Bourdon, par nuances infinitésimales, de sorte que, quand il s’est trouvé achevé, le changement avait pénétré depuis longtemps sous des formes de plus en plus voisines du type définitif dans toutes les parties du groupe social où il était destiné à s’implanter ? Nous remarquerons d’abord que, même dans cette hypothèse peu compatible d’ailleurs, ce nous semble, avec l’origine individuelle des variations phonétiques, rien n’empêche la coexistence des formes anciennes auprès des nouvelles. Mais ce n’est qu’une hypothèse que ne soutiennent ni les faits, ni la logique ; car on ne voit pas, par exemple, que le lambdacisme comporte les degrés dont on nous parle ; et, à un autre point de vue, pour que l’auteur d’une variante phonétique fasse école en quelque sorte, il faut que la variante qu’il a créée soit nettement perceptible et toute autre chose qu’une nuance infinitésimale du son primitif.

Mais si la variation phonétique est, comme tout usage, susceptible ou non d’être adoptée et dans une plus ou moins large mesure par l’entourage immédiat ou médiat de l’individu chez lequel elle prend naissance, pour celui-ci, nous le répétons, c’est une loi physiologique dont l’empire sur lui s’exerce, par conséquent, d’une manière absolue et mécanique. La personne, en effet, qui lambdacise prononce l pour r sans qu’il lui soit possible de faire autrement, et toutes les fois que l’occasion s’en présente. N’avons-nous pas là l’indication de la cause, ou tout au moins d’une cause, du changement phonétique ; et ne résulte-t-elle pas d’un état particulier, constitutionnel ou accidentel, des organes ?

Une chose bien certaine, c’est que plusieurs changements phonétiques ont cette cause pour origine. Nous avons déjà parté du lambdacisme ; à l’époque où la tribu aryenne au sein de laquelle s’est développé le zoroastrisme était encore unie au noyau central et primitif de la race indo-européenne, l’état physiologique d’où découle ce vice de prononciation n’avait pas encore réussi à propager dans la langue commune la variante du r (l) à laquelle il a donné naissance ; dans l’Inde, aux temps védiques, le l existait, mais il était relative-