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JANET.introduction a la science philosophique

cause efficiente que lui-même ; et ce pourquoi est précisement ce qui tient lieu pour lui de cause efficiente.

Il est évident que, dans cette discussion, Descartes s’élève au-dessus des idées moyennes dont se contente la raison humaine en tant qu’elle est claire et distincte à elle-même. Nous ne voyons en effet d’une manière claire que deux choses : ou bien la cause efficiente proprement dite, en tant qu’elle est distincte de son effet, et qu’elle le contient a priori et par conséquent qu’elle lui est antérieure ; — ou bien pas de cause. Et cependant il est en même temps évident pour la raison, qu’il doit y avoir un troisième terme, ein drittes, comme dit Hegel ; car quoiqu’il soit vrai d’un côté que la notion de cause efficiente ne peut s’appliquer proprement à Dieu par rapport à lui-même dans le sens habituel que nous attachons au mot de cause, cependant, d’un autre côté, il n’est pas moins vrai que pas de cause est insuffisant ; car il faut une raison propre pour qu’un être n’ait point de cause ; et c’est cette raison propre qui tient lieu de cause ; comme il n’y a point d’autre être avant Dieu, la raison propre pour laquelle il n’a pas de cause doit être cherchée en lui-même ; et cela c’est la cause ; il est donc sa cause à lui-même.

Si l’on se contente de dire que l’être par soi ne doit s’entendre que dans un sens négatif, c’est-à-dire signifiant seulement que Dieu n’a pas de cause, son existence alors n’est plus qu’un fait brutal sans raison. Il est parce qu’il est. Mais, si l’on admet le fait brutal à l’origine des choses, qu’a-t-on besoin de Dieu ? et ne peut-on pas dire de l’être quelconque qui serait par lui-même, qu’il est parce qu’il est ? or cela peut être aussi bien dit de la matière que de Dieu. Il faudra donc une raison ; or cette raison ne peut être, comme dit Descartes, que « l’infinie et incompréhensible puissance de Dieu ». Dieu est si puissant et si grand que sa puissance fonde son être, et si parfait que son essence emporte l’existence.

On ne peut échapper à ce dilemme de Descartes : ou point de cause, et par conséquent point de Dieu ; ou Dieu cause de lui-même dans le sens positif du mot ; et cependant il nous est impossible de comprendre qu’une chose soit cause de soi. Nous sommes donc là en présence d’une incompréhensibilité fondamentale qui confine aux mystères de la théologie. Car s’il est obscur de dire que Dieu engendre le fils, combien plus obscur de dire que Dieu s’engendre lui-même ! ou plutôt n’est-ce pas la même chose ? n’est-ce pas précisément la doctrine de la génération du fils qui, traduite en langage philosophique abstrait, est devenue dans Descartes la doctrine de Dieu cause de soi ? Dieu en tant qu’il engendre est le père : c’est l’infinie et incompréhensible puissance » dont parle Descartes ; Dieu en tant qu’engendré est le Fils.