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LA DOULEUR MORALE[1]


Il peut paraître étrange, au premier abord, dans un livre consacré spécialement aux sensations internes et à leur étude physiologique, de trouver un chapitre sur la douleur morale. En effet, tous les philosophes, presque sans exception, établissant une séparation radicale entre la douleur physique et la douleur morale, en font deux catégories absolument distinctes. Quelle ressemblance peut-il y avoir entre la douleur d’une coupure et celle qui suit la mort d’un être aimé ? Est-il possible d’assimiler la souffrance d’un malade atteint de névralgie à celle du génie qui constate son impuissance à trouver la vérité cherchée ?

Et cependant, si au lieu de choisir ainsi les deux termes extrêmes de la série douloureuse, on s’adresse aux termes intermédiaires, en prenant, même au hasard, quelques exemples et en les analysant avec soin, on s’aperçoit bientôt que la distinction n’est pas aussi tranchée qu’on le croirait à un examen superficiel ; on ne tarde pas à constater que la douleur physique et la douleur morale ont entre elles de nombreux points de contact et qu’elles présentent des analogies telles qu’en réalité les deux catégories de douleurs ne sont que les deux branches d’un même tronc, les deux espèces d’un même genre.

Quelques faits suffiront pour cette démonstration.

Si nous nous piquons par mégarde avec une aiguille par exemple, nous ressentons presque instantanément une douleur vive, brève, qui disparaît rapidement ; mais, malgré cette disparition brusque, nous pouvons reconnaître facilement qu’à la douleur de la piqûre proprement dite s’ajoute un état particulier bien distinct de la sensation physique, état mental caractérisé par un peu d’ennui et d’impatience ; cet état est si faible, si fugace qu’il peut passer presque inaperçu ; mais il peut être cependant assez marqué et se manifester chez certaines personnes peu endurantes par un mouvement de colère, autrement dit par un phénomène mental évidemment désagréable et

  1. Extrait d’un livre qui va paraître prochainement sur les Sensations internes.