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même, ce qui paraît absurde et incompréhensible, puisqu’alors il fallait qu’il fût avant d’être. Et cependant, encore cette fois, Descartes ne se laisse point ébranler ; il veut bien que le mot de cause n’implique pas comme d’ordinaire l’antériorité par rapport à l’effet ; mais il ne veut pas renoncer à l’idée que Dieu est par lui-même comme par une cause ; il ne veut pas admettre que l’expression être par soi ne soit que négative. Il faut une cause et une cause positive à l’existence de Dieu comme à toute autre chose. « J’estime, répond-il à Arnauld (Œuvres, id., V. Cousin, II, p. 65 fin), j’estime qu’il est nécessaire de montrer qu’entre la cause efficiente proprement dite et point de cause, il y a quelque chose qui tient comme le milieu, à savoir l’essence positive d’une chose à laquelle l’idée ou le concept de la cause efficiente se peut étendre, en même façon que nous avons coutume d’étendre en géométrie le concept d’une ligne circulaire la plus grande qu’on puisse imaginer au concept d’une ligne droite, ou le concept d’un polygone rectiligne d’un nombre infini de côtés au concept de cercle. »

« De là (c’est-à-dire des objections d’Arnauld), on doit également inférer que ce n’est pas une cause efficiente proprement dite, ce que j’avoue, mais non point que ce n’est point du tout une cause positive qui par analogie puisse être rapportée à la cause efficiente… C’est pourquoi, lorsqu’on demande si quelque chose peut se donner l’être à soi-même, il faut entendre la même chose que si on demandait, savoir si la nature ou l’essence de quelque chose peut être telle qu’elle n’ait pas besoin de cause efficiente pour être ou exister.

« … Et je pense qu’il est manifeste que la considération de la cause efficiente est le premier et le principal moyen, pour ne pas dire le seul et l’unique, que nous ayons pour prouver l’existence de Dieu. Or, nous ne pouvons nous en servir si nous ne donnons l’occasion à notre esprit de rechercher les causes efficientes de toutes les choses qui sont au monde, sans en excepter Dieu même ; car pour quelle raison l’exempterions-nous de cette recherche avant qu’il soit prouvé qu’il existe ? »

Ainsi, selon Descartes, l’axiome de causalité est absolu et universel. Il ne doit pas s’exprimer seulement comme on le fait d’ordinaire depuis Kant : « Tout phénomène, c’est-à-dire tout ce qui commence d’exister a une cause » ; mais, d’une manière plus générale, sous cette forme : « Tout a une cause. » C’est ce principe qui nous conduit jusqu’à Dieu ; mais nous ne devons pas en exempter Dieu lui-même ; car alors le principe perdrait sa force. Dieu a donc besoin d’une cause ; et nous avons le droit de demander pourquoi il existe, ou, ce qui est la même chose, pourquoi il n’a pas besoin d’autre