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EVELLIN. — la pensée et le réel

que ce qui se voit et ce qui se touche, et c’est pour cela qu’il insiste si souvent et avec tant de force sur le caractère relatif de ses conceptions. Volontairement il détourne ses regards des régions de l’être, mais c’est pour se dire à lui-même que l’être existe, car autrement il ne nous entretiendrait ni d’apparence ni de rapports. Qu’est-ce en effet que l’apparence, en dehors de la réalité qui l’explique, et qu’entend-on par rapports s’il ne se rencontre nulle part de termes réels pour les créer ?

Plus d’une fois on a fait hommage à la science de sa réserve dans l’affirmation et de ce qu’on a appelé sa modestie, en l’opposant aux ambitions parfois intempérantes de sa rivale. L’hommage est mérité, mais peut-être faut-il croire que le sentiment de sa propre conservation explique jusqu’à un certain point le soin qu’elle a toujours pris de s’exclure de l’absolu. La science après tout n’est possible et ses démarches ne s’expliquent que s’il est quelque chose au delà de la science. Confond-elle le réel avec son objet ? elle se condamne elle-même et périt.

Certes, pour se mettre en règle avec la loi fondamentale de la pensée, il lui suffirait de faire abstraction du réel. On ne nie pas ce qu’on écarte provisoirement et dans un intérêt de méthode, et ce n’est pas supprimer le tronc que de ne s’occuper que des branches ; mais une telle situation, qui déjà la distinguerait avec avantage de la prétendue métaphysique du phénomène, n’est pas exactement celle qu’elle a prise. Elle pose le sensible comme provisoire, puisqu’elle le dépasse, comme relatif, puisqu’elle l’explique, et par là elle rend témoignage à l’absolu.

À ce premier acte de foi instinctive, posé, dès le début, par la science, on peut pressentir que les deux domaines du phénomène et de l’être, encore que distincts, sont unis. L’être en effet doit être tel qu’il explique dans la sphère du phénomène les généralités les plus hautes, et d’autre part, nous le verrons, la science ne peut aspirer à devenir une, qu’à l’aide d’une conception empruntée à la sphère de l’absolu.

Résumons cette première étude.

Si l’on se représente en pensée la suite des considérations qui précèdent, on pourra croire que le résultat, bien qu’important, ne répond pas à l’effort tenté pour l’obtenir, mais la portée d’un principe ne se mesure qu’à ses conséquences, et nous prions le lecteur de les attendre pour le juger. Notre conviction profonde est que le principe de l’affirmation de l’être donne à la métaphysique un fondement et une méthode.

Tel est d’ailleurs le problème que nous aborderons prochainement.