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L’être est donc en tout état de cause, et quelle que soit l’hypothèse que vous choisissiez. — Mais si je n’en choisis aucune ? — Il est encore, et pour vous-même, dès que vous affirmez que les deux alternatives posées sont les seules possibles et qu’entre elles nul milieu ne se conçoit.

Voilà derrière le je ne sais traditionnel un commencement de science très positif. Dans cette lutte serrée, opiniâtre, que se livrent sous nos yeux l’affirmation et le doute, l’être ne s’efface un moment que pour reparaître au travers de négations purement verbales, et sortir imprévu, mais inévitable, des formules qui devaient l’exclure.

Qu’on veuille bien ne pas se laisser troubler par l’apparence légèrement paradoxale de cette critique. Nous la croyons absolument fondée en raison. Du moment où il a posé le phénomène, le sceptique, sans s’en douter, a fait acte de dogmatisme, et dès lors il ne peut plus retourner en arrière. Sur cette pente où il n’a fait que poser pied, il glisse d’affirmation en affirmation jusqu’à l’absolu.

Il va de soi que nous ne parlons ici que de ce scepticisme historique qui affirme le phénomène et demeure attaché au principe de contradiction. Une autre forme du scepticisme, si elle existe, n’a plus rien à voir avec la critique. Vouloir à l’origine moins que le phénomène, c’est poser le néant d’où rien ne sort, et rejeter le principe de contradiction, c’est renoncer à l’exercice même de la pensée.

Tel qu’il s’est toujours affirmé, le scepticisme, on peut le dire, n’est qu’un cas particulier, non du dogmatisme courant, dont la base est trop étroite, mais de ce dogmatisme profond, le seul essentiel, le seul invincible, qui veut qu’en quelque point, à quelque moment, l’être et la pensée se rencontrent.

S’il rejette comme contradictoires la doctrine du phénomène et celle du doute, un tel dogmatisme, au contraire, est l’allié naturel de la science dont il détermine l’objet propre et dont il circonscrit le domaine, en le distinguant de celui de la réalité et de l’être. Supposons pour un moment que le phénomène soit seul au monde ; les deux domaines aussitôt sont confondus, la distinction de l’absolu et du relatif n’a plus de sens, et la science, mise tout à coup en une sorte d’éblouissant tête-à-tête avec le réel, peut désormais se passer d’interprétations et d’hypothèses. À quoi bon dès lors ses méthodes laborieuses, ses expérimentations délicates, ses calculs et ses recherches ? Pourquoi des raisons et des causes ? Le premier venu trouve à sa portée et tient dans ses mains le vrai en soi ; l’absolu est descendu dans la perception, et, pour connaître l’inconnaissable, il suffit maintenant d’ouvrir les yeux.

En fait, le savant comprend d’instinct qu’il est autre chose au monde