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de cause au phénoménisme. À l’origine, un phénomène s’affirme ; il existe, c’est pur hasard. Nous ne dirons pas même qu’il est donné, car on demanderait aussitôt d’où et à qui. Il est, nous n’en voulons rien savoir de plus. Mais que peut bien signifier cette formule : il est ? Ou elle n’a pas de sens ou elle marque à la fois entre le phénomène et l’être opposition et liaison. Si le phénomène est, c’est que, distinct de l’être, il est néanmoins lié à l’être en l’absence duquel il ne serait pas.

Et, qu’on veuille bien le remarquer, il ne s’agit point ici de l’être purement logique, c’est-à-dire d’un concept abstrait que l’hypothèse d’ailleurs rend impossible. Quand on affirme que le phénomène est, on entend dire qu’il existe, à titre de phénomène, d’une existence positive, qui tranche sur le néant qui l’enveloppe comme un jet de lumière sur un fond obscur. Par exemple, si l’on veut qu’un son ou une couleur soit le fait primordial d’où tout dérive, on donne à l’un ou à l’autre une sorte d’individualité dans l’existence, qui, en vertu même de l’hypothèse, se détache du vide ambiant et s’oppose au rien universel. Une note retentit aiguë ou grave ; un point lumineux éclate tout à coup dans la nuit. Ce ne sont là que des faits, si vous voulez, mais des faits réels, et non imaginés ou conçus. Pourquoi réels ? Parce qu’ils ont part à l’existence, parce qu’en un sens ils vivent. Ils ne sont ni l’être ni le néant, mais fondés sur l’être, ils le manifestent et c’est pour cela qu’ils sont.

Pour que le phénoménisme pût se poser, il faudrait que le phénomène fût détaché en quelque sorte de l’être ou de l’existence et par suite qu’il ne fût pas, car le phénomène, comme tel, c’est la passivité et l’inertie même, ce n’est rien.

Supposons pourtant une fois de plus l’impossible. Une couple de phénomènes existe, inertes l’un et l’autre comme le néant, distincts, on ne sait pourquoi, du néant. Il faut à présent les lier et établir entre eux un rapport, le premier de tous, car sans rapports pas de lois, et sans lois pas de nature. Mais dans une doctrine d’où l’on a exclu l’action, que peut bien signifier l’idée de rapport ? Ou elle ne répond à rien de concevable, et le mot qu’on emploie alors n’a pas de sens, ou il faut admettre, lorsqu’on l’emploie, que chacun des termes déjà posés sort de son isolement pour entrer en commerce avec l’autre et réaliser ainsi la relation dont on parle. Cherchera-t-on à échapper en soutenant que le rapport n’est lui-même qu’un phénomène ? Le problème ne fait alors que se compliquer, car au lieu d’un trait d’union c’est une barrière qu’on vient d’établir entre deux termes déjà indifférents l’un à l’autre. Comment, en effet, un tel phénomène agirait-il au dehors ? Il ne possède pas même cette